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Denis Roche, le grand laboratoire lyrique
par Jean-Marie Gleize

Denis Roche lors du colloque de Cerisy « Artaud-Bataille », 1972. Archives Centre internationnal de Cerisy- la-Salle/Imec. © D.R.
Denis Roche lors du colloque de Cerisy « Artaud-Bataille », 1972. Archives Centre internationnal de Cerisy- la-Salle/Imec. © D.R.

Jean-Marie Gleize est écrivain et poète, fondateur et directeur de la revue Nioques.

On sait que Denis Roche se méfiait (le mot est faible) des critiques professionnels, des savants exégètes, des rédacteurs de thèses et de notes en bas de page… Mais nous, ses lecteurs, anciens, présents, futurs, en désir et souci de ne rien perdre de sa présence, nous n’hésitons pas à lui faire cette petite violence posthume en retour : celle de pouvoir désormais consulter ce que nous appelons ses « archives », ou du moins une partie d’entre elles, ses archives papier, pour de nouveaux dialogues avec un écrivain, un artiste, dont l’intervention fut sans conteste décisive pour la scène poétique contemporaine en France.

Il a surgi dans ce paysage au début des années soixante, avec les poèmes de Forestière Amazonide, publiés par Jean Cayrol aux éditions du Seuil, avant d’être présenté par lui aux jeunes animateurs de la revue Tel Quel. Membre du comité de cette revue de 1962 à 1973, c’est dans la collection « Tel Quel » qu’il publie successivement, à partir de 1963 (Récits complets), la totalité de son oeuvre poétique : Les Idées centésimales de Miss Elanize en 1964, Eros énergumène en 1968, et Le Mécrit en 1972. En 1995 Denis Roche republiera dans la collection « Fiction & Cie » qu’il a créée aux éditions du Seuil en 1974, ses Œuvres poétiques complètes, et en leur donnant pour titre l’une de ces formules-slogans qui ont tenu lieu, pour beaucoup de ses lecteurs, de noyau dur condensant tout l’essentiel de sa pratique et de sa leçon : La poésie est inadmissible.

En 1976, il publie Louve basse, un « roman » qui est aussi un autoportrait enregistré, puis Dépôts de savoir et de technique (1980) « chant général » des êtres et des choses. Dans le même temps, l’écrivain commençait à se dédoubler et à accompagner son travail de transcription-captation « objective » du réel, d’un travail de photographie. À ce grand laboratoire lyrique ayant pour référence plus ou moins explicite l’acte photographique (les pages des Dépôts pouvant être comparées à des planches-contacts) va correspondre, durant la décennie 1980, une entreprise complémentaire, ou si l’on veut symétrique, l’écriture d’un journal dont seuls quelques fragments seront publiés sous le titre Essais de littérature arrêtée.

Aujourd’hui que l’oeuvre est « achevée », ou simplement « arrêtée », nous savons qu’il n’est pas possible de séparer le corpus photographique et le projet littéraire ; du texte poétique au texte-photographique sans image, et de celui-ci à l’image photographique sans texte ni légende, formellement autonome et montrée, exposée, nous assistons au croisement des lignes, à leurs déplacements, à quelque chose comme une fiévreuse activité sismique, passionnelle, esthétique. Aucune classification d’aucune bibliothèque ne pourra jamais véritablement contenir Denis Roche.


Les archives de Denis Roche conservées à l'Imec comprennent, au-delà des livres qu’il a publiés (littérature, essais, photographie), les manuscrits, dactylogrammes, tapuscrits de certaines de ses oeuvres, des notes de travail, des études critiques, des lettres reçues, mais aussi de la documentation sur son activité éditoriale, des dossiers de presse et des documents biographiques, que complètent quelques enregistrements.

Article paru dans Les Carnets de l'Imec #10, à l'automne 2018