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Marianne Oswald, puissance rouge d’incendie
par Albert Dichy
« Cette puissance rouge d’incendie, de mégot, de torche, de phare, de fanal » : c’est par ces mots que Jean Cocteau, qui écrivit pour elle plusieurs textes de chansons, dont « Anna la bonne » en 1934, évoquait la chanteuse-diseuse rousse à la voix rauque, Marianne Oswald, dont les archives entrent à l’Imec.
Albert Dichy. Directeur littéraire de l’Imec.
Cette même année 1934, alors que Jacques Prévert lui confie ses premiers textes de chanson, le journal Comœdia consacre un article au « Cas Marianne Oswald » qui reconnaît sa foudroyante ascension au rang de « vedette », mais la décrit comme « l’artiste la plus discutée » de l’époque. Controversée, parfois sifflée quand elle chante, elle est traitée alternativement d’ « Allemande » pour son accent ou de « Juive » pour ses origines.
Née en 1901 à Sarreguemines, dans une Lorraine encore annexée à l’Allemagne, Marianne Oswald, pseudonyme de Sarah Alice Bloch, était la fille d’un couple de Juifs polonais en exil. Très tôt orpheline, elle subit une opération à la gorge qui la rend, un temps, muette, puis lui laisse une voix « faussée ». Décidée à devenir malgré tout chanteuse, elle se produit dans les années 1920 dans des cabarets de Berlin où elle croise la route de Piscator, Brecht et Kurt Weill. En 1931, la montée du nazisme l’incite à se réfugier à Paris. Changeant de langue, elle introduit alors dans la chanson française les techniques de l’expressionnisme allemand et le « parlé-chanté » de L’Opéra de quat’sous. Au Bœuf sur le toit, elle se fait vite remarquer pour son ton entièrement nouveau, sa véhémence, son refus de toute concession. Darius Milhaud et Arthur Honegger composent la musique de certaines de ses chansons, Prévert écrit pour elle, avec Joseph Kosma, La Chasse à l’enfant. Devenue la figure de proue de la chanson réaliste, elle chante en 1936 devant les ouvriers en grève de Citroën. Elle entame également en 1938 une carrière d’actrice et joue avec Arletty dans Le Petit Chose de Maurice Cloche. Elle est au faîte de sa célébrité quand la guerre la contraint à s’exiler une nouvelle fois. En 1940, elle part aux États-Unis où elle se produit dans de petites salles jusqu’à ce qu’en 1947 Albert Camus, de passage à New York, la remarque et la pousse à revenir en France. De retour à Paris, elle fait publier en 1948 la traduction de son récit autobiographique, Je n’ai pas appris à vivre, et reprend ses concerts, mais, un peu déphasée par rapport à son temps, elle réoriente ses activités vers la radio et la télévision. Oubliée, elle vit ses dernières années dans une chambre de bonne de l’hôtel Lutétia et disparaît en 1985. « Marianne la rockeuse », comme disait Barbara, reste cependant encore aujourd’hui une référence majeure pour nombre d’interprètes, que ce soit Catherine Ringer, Ingrid Caven, Brigitte Fontaine, Juliette, Jean Guidoni ou Christophe.
Réunies par Janine Marc-Pezet, ses archives comprennent partitions et tapuscrits de chansons, affiches de spectacles et disques, carnets et notes, correspondances, ainsi que de nombreux dossiers de presse.
Article paru dans Les Carnets de l'Imec #13-14, à l'automne 2020