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Henri Maldiney, mise au jour
par Jean-Pascal Léger
L‘Imec accueille les archives de l‘un des représentants français les plus importants de la phénoménologie. La pensée de Henri Maldiney, dont l‘influence a profondément marqué ses contemporains, n’a cessé de questionner la philosophie, l‘esthétique et la psychanalyse.
Jean-Pascal Léger est écrivain.
Dans un vaste panorama, le peintre Tal Coat repérait un éclat de lumière entre deux rochers, au milieu de hautes montagnes, une faille éclairée :
« Que de fois j’ai, avec lui, rencontré ce frémissement du passage quand nous regardions ensemble une ombre, une coulée, une fissure ! Suspendus à elle, nous étions, dans ce suspens même, présents à tout l’espace. Cette vision peut se comparer à celle de l’alpiniste. Pour lui, une fissure, cette fissure à laquelle déjà d‘en bas son regard est accordé, n’est pas un objet, c‘est une voie. Et même un motif d’escalade. » Henri Maldiney, Aux déserts que l’histoire accable. L'art de Tal Coat, 2013.
Ami de Pierre Tal Coat, le philosophe Henri Maldiney était en effet alpiniste. Attentif aux accidents et fêlures de la roche, l’alpiniste vise l’arête la plus aiguë. Pour y parvenir, il doit s’accorder à l’espace. Il repère les ouvertures qui lui offrent des passages et il doit, pour cela, assurer avec chaque pierre une sorte de familiarité, garder, dans son approche, la mémoire agissante de chaque pas.
Pour aller à la pointe du possible – autant dire à une extrême fragilité –, telle est la méthode du philosophe dans son enseignement et dans ses livres. Attentif aux failles de l’homme, à la « folie de Hölderlin » et à la folie des hommes (une part importante de son œuvre est tournée vers la psychiatrie), Henri Maldiney vérifie continûment la solidité de ses « assises ». En phénoménologue, il associe l’analyse discriminante (la voie conceptuelle) à l’expérience du « sentir ». D’une prise de parole à un livre puis d’un livre à l’autre, il lui faut éprouver les connaissances, mettre à l’épreuve les exemples, répéter, donc déplacer, les citations comme autant de témoins ou d’appuis, autant de relais peu à peu si familiers qu’on en saluerait les formules d’un signe de reconnaissance ou même d’un sourire d’amitié. Cette « modulation rythmique » nous aide à passer combien d’escarpements ! et elle nous prépare à une mise au jour. Il lui faut ouvrir un espace à « l’avènement », écrit-il.
Henri Maldiney se porte tout naturellement à la présence rayonnante de la peinture (notamment de Cézanne, de Klee, de Staël, de Tal Coat), lorsque celle-ci inaugure un espace. Il se porte aussi à la poésie lorsque Mallarmé, Rilke et du Bouchet mettent l’espace au cœur de leur création. Il a compris que le moteur de la poésie d’André du Bouchet était l’interruption, la secousse, l’éclat. Il a compris qu’il y avait là, pour lui, penseur, auteur, la chance d’un passage entre des rives d’existence – cela se matérialise dans son écriture inspirée : l’expérience et l’amitié s’y conjoignent. Aller à la rencontre de la Sainte-Victoire, c’est aller à la rencontre de Cézanne. L’art n’est pas qu’un « travail ». Il requiert un saut qui ouvre une puissante déchirure des formes. Les textes d’Henri Maldiney sont éclairés, traversés par la rencontre. Ils sont espacés, « existés », écrirait peut-être le philosophe, par la fascination qu’exerce l’invention d’un langage. La présence ou l’absence de leurs auteurs pénètre des clairières. En lecteur du Sophiste de Platon, Henri Maldiney puise à la source permanente du dialogue.
Je ne regarde ici qu’une ligne d’ombre et de lumière au milieu d’un immense panorama.
Qu’avec le dépôt des archives d’Henri Maldiney à l’Imec nous puissions aujourd’hui accéder à ses sources..., nous irons à ses écrits comme à des personnes, ils auront désormais le temps de venir à notre rencontre.
Article paru dans Les Carnets de l'Imec #11, au printemps 2019