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La mémoire des éditions Grasset
par Olivier Nora
Olivier Nora est président-directeur général des Éditions Grasset.
Que représente pour vous la mémoire d’une maison d’édition ?
La mémoire d’une Maison oblige : on la reçoit en héritage, on la célèbre, on la transmet.
En arrivant chez Grasset en 2000, quatrième patron seulement depuis sa création en 1907 – après Bernard Grasset, Bernard Privat, Jean-Claude Fasquelle –, j’ai eu le sentiment que, « du haut de ces pyramides de papier, un siècle d’édition me contemplait… ». Tout a changé dans l’exercice de ce métier, à notre époque hystérisée par la dictature de l’urgence, mais si l’on ne cultive pas le temps long du passé (le catalogue) et si l’on n’ensemence pas le temps long de l’avenir, on naufrage ce qu’une Maison a de plus précieux. Il y a des éditeurs « horizontaux » obsédés par l’idée de faire accéder le plus grand nombre de leurs contemporains à la lecture des nouveautés qu’ils publient, des éditeurs « verticaux » obsédés par la transmission entre les générations, et des éditeurs « perpendiculaires » qui s’acharnent à défendre les nouveautés et les fonds : je reste persuadé qu’il n’y a pas de succès sans mémoire, pas de réussite dans le temps court sans prise en compte du temps long.
Quels grands moments retenez-vous de l’histoire des éditions Grasset ?
Du côté de chez Swann, publié par Bernard Grasset en 1913 – je renvoie tous ceux qu’intéresse l’histoire épistolaire de la publication de La Recherche du temps perdu au volume Cher ami… de Proust publié en mai 2019 dans la collection « Les Cahiers Rouges ».
La décennie des années 1920, qui furent les « années folles » de l’histoire de France et les « années Grasset » de l’édition : grande période dite des « quatre M » (Montherlant, Maurois, Mauriac, Morand) auxquels il faudrait ajouter le cinquième M de Malraux ; création de la collection « Les Cahiers verts », confiée à Daniel Halévy ; invention de la publicité littéraire (voir le lancement du Diable au corps de Raymond Radiguet en 1923).
La renaissance de la Maison après-guerre : cession à Hachette en 1954 et réorganisation sous la présidence de Bernard Privat, rapprochement avec les Éditions Fasquelle où Jean-Claude Fasquelle lance en 1954 la collection « Libelle » qui accueille l’« esprit hussard » (Bernard Frank, François Nourissier, Roger Vailland, Michel Déon… que beaucoup suivront chez Grasset une fois la fusion des deux maisons juridiquement actée en 1967).
Les années 1970, durant lesquelles Grasset accompagne et catalyse deux courants de la société française : le féminisme (Christiane Rochefort, Benoite Groult, Marie Cardinal, Françoise Mallet-Joris, Annie Le Brun, Gisèle Halimi) et les nouveaux philosophes (André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, Christian Jambet, Guy Lardreau, Jean-Paul Dollé…). Les années 1980 avec le lancement de la collection « Les Cahiers Rouges » et la publication de nombre de grands auteurs étrangers (Umberto Eco, Gabriel Garcia Marquez…).
Je m’abstiens de commenter la période la plus contemporaine…
Pour quelles raisons les Éditions Grasset ont-elles décidé de confier leurs archives à l’Imec ?
Outre les fonds d’auteurs les plus prestigieux, l’Imec a entrepris de rassembler les fonds des maisons d’édition, de sorte que tous les chercheurs intéressés par la vie de l’édition en France y trouvent les archives à dépouiller, dans des conditions idéales, à l’abbaye d’Ardenne. Ayant constaté que nombre de trésors du fonds Grasset avaient été dispersés avant que je n’en prenne la présidence en 2000, il m’a semblé indispensable de permettre un inventaire professionnel des archives encore disponibles et l’entreposage sécurisé de cette mémoire vivante dont nous sommes les lointains héritiers.
Propos recueillis par Albert Dichy
Article paru dans Les Carnets de l'Imec #11, au printemps 2019