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Archives du genre, genre de l'archive,
par Judith Revel
Judith Revel est philosophe, professeure de philosophie à l'université Paris Nanterre, directrice adjointe du Sophiapol et membre du Conseil scientifique de l'Imec.
Le geste archéologique fonde et alimente la démarche épistémologique et critique des études de genre depuis l’émergence de ces dernières dans les années soixante-dix. Trop longtemps, les femmes, comme le pointaient déjà les militantes du MLF il y a près d’un demi-siècle, n’ont pas eu de passé : moins parce qu’elles ont été absentes de l'Histoire que parce qu’elles l’ont été des matrices de constitution des récits historiques. Contre la méconnaissance parfois concertée dont les femmes semblaient être l’objet paradoxal, il fallait donc s’attacher à retrouver les multiples éléments attestant leur présence, à entendre leurs voix, à recomposer leurs choix et leurs actions – et plus généralement l’immense richesse de ce qu’elles avaient contribué à produire. Dans toutes les sphères de l’existence sociale, il en allait dès lors d’un patient travail de recollection, de conservation et de transmission de fragments épars : une drôle d’archéologie pour faire enfin parler les silences, pour rendre visible ce qui avait été effacé.
C’est à cette question des archives du genre (et, symétriquement, à celle du genre des archives) que le projet collectif « Genre et transmission », dirigé par Judith Revel et Anne E. Berger, s’est en particulier attaché. Lors des journées de clôture de cette recherche triennale, on reviendra sur la question complexe du « périmètre » des fonds de femmes – dont l’Imec est particulièrement riche -, et sur la manière dont la division entre public et privé, entre ce qui vaut « pour mémoire future » et ce qui est perçu par les déposants comme n’ayant pas d’importance, semble changer selon que le fonds est celui d’un homme ou d’une femme. Peut-on genrer les fonds d’archives, qu’ils aient été constitués par leurs « titulaires » ou par le jeu des successions ? Et derrière cela, n’est-ce pas, encore une fois, la question de la valeur que l’on accorde aux vies et aux gestes, aux mots et aux affects, qui n’en finit pas de réaffleurer ?
Article paru dans Les Carnets de l'Imec #12, à l'automne 2019