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Robert Kramer, écrits sur le cinéma
par Cyril Béghin
Cinéaste engagé, inventeur d’un rapport nouveau au cinéma entre la fiction et le documentaire, Robert Kramer a entretenu un lien constant avec l’écriture. Cyril Béghin a été à l’initiative de la publication d’un recueil d’écrits auquel le cinéaste avait commencé à travailler. Ses Notes de la forteresse (1967-1999), rassemblées à partir des archives conservées à l’Imec, sont parues à l’automne 2019 chez Post-éditions, au moment de la rétrospective organisée par la Cinémathèque française.
Cyril Béghin est théoricien et critique de cinéma.
« Le pouvoir utilise les images pour identifier, cibler, encercler, contrôler et détruire. Tandis que nous utilisons les images pour faire exploser l’idée même d’encerclement et de contrôle, des images qui vont au-delà. » Ces quelques lignes, écrites par Robert Kramer en 1991 pour un bref essai publié dans les Cahiers du cinéma, pourraient résumer sa pratique de cinéaste comme son éthique politique. De 1966 à 1977, Kramer (1939-1999) réalise ses premières œuvres dans son pays, les États-Unis : des films de combat et d’autocritique, de contre-information au service de la gauche révolutionnaire américaine (au sein du collectif Newsreel, qu’il a cofondé en 1967) et de réflexion sur l’avenir incertain des mouvements de lutte et d’émancipation, à travers des politiques-fictions (Ice, 1969) ou des fictions aux allures documentaires (Milestones, 1975). Les images qu’il crée ne vont pas seulement « au-delà » de celles diffusées par les pouvoirs en place : elles vont aussi au-delà des genres, des assignations de rôles, des frontières. Kramer va tourner au Vietnam, au Portugal juste après la révolution des Œillets, en Angola, avant de s’installer en France en 1979, où il poursuit son travail de désencerclement tout en acceptant les moyens d’un cinéma plus classique. Notre nazi (1984), Route One / USA (1989), Point de départ (1993) sont les chefs-d’œuvre complexes de cette seconde période, où l’autoportrait mélancolique se mêle à une exploration ininterrompue du passé historique et du présent de l’action. Mais il n’y a pas que les films pour organiser ces montages. Des États-Unis à la France, Kramer n’a cessé d’écrire et de conserver, au fil de ses errances, la plupart des nouvelles, poèmes, romans, articles et comptes-rendus qu’il a rédigés à partir de 1958, en parallèle de tout ce que le cinéma réclame aussi de texte : scénarios, projets, réflexions diverses sur le métier et sur les images. Six ans après la mort du cinéaste, en 2005, sa veuve Erika Kramer et sa fille Keja Ho Kramer proposent à l’Imec de conserver ses archives. Ayant eu la chance de les traverser avant leur départ en Normandie, à l’occasion d’un catalogue publié la même année par le festival « Théâtres au cinéma » de Bobigny, j’y avais découvert le projet d’un recueil d’écrits auquel il avait travaillé avec l’historien du cinéma Bernard Eisenschitz. Le livre a vu le jour presque quinze ans plus tard, après quelques nouvelles visites à l’abbaye d’Ardenne pour en compléter le sommaire. Notes de la forteresse (Post-éditions, 2019) regroupe ainsi une soixantaine de textes de Robert Kramer relatifs au cinéma. Cela n’est qu’un pan du territoire de ses écrits, dont la force d’empathie et d’analyse politique est aujourd’hui plus forte que jamais.
Article paru dans Les Carnets de l'Imec #13-14, à l'automne 2020