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Archives

Un conservatoire d’imaginaires
par François Bordes

Félix Guattari, « Les trois écologies ». Manuscrit, [1989]. Archives Félix Guattari/Imec.
Félix Guattari, « Les trois écologies ». Manuscrit, [1989]. Archives Félix Guattari/Imec.

François Bordes est délégué à la recherche à l’Imec.

Le constat s’impose désormais largement : « La montée en puissance de la crise écologique bouleverse les catégories de la pensée et de l’action*. » À l’heure de la prise de conscience mondiale des catastrophes environnementales menaçant notre « Terre-Patrie** », connaître et comprendre le passé de l’écologie politique est indispensable pour affronter le présent tout en gardant l’avenir en mémoire. L’Imec, qui abrite les archives de grands penseurs de l’écologie politique, peut contribuer à cette tâche commune. Le plus emblématique d’entre eux reste André Gorz (1923-2007), tenant d’une écologie politique humaniste, précurseur de la décroissance et théoricien d’une autre approche du travail. Ses archives gardent la trace de ses combats et de ses réflexions sur l’écologie et les modèles alternatifs de développement. De nombreux chercheurs y ont puisé des matériaux utiles pour leurs travaux.

Auteur d’un retentissant essai sur « la force révolutionnaire de l’écologie », Cornelius Casto-riadis (1922-1997), exerça une influence profonde sur les penseurs et les militants écologistes. Ses archives réservent des découvertes comme ses échanges avec Jacques Ellul, l’un des premiers penseurs français de l’écologie. Écologie et politique, le tome VII des Écrits politiques de Castoriadis (à paraître en septembre 2020 aux éditions du Sandre) permettra ainsi, à la lumière des archives, de revenir sur les débats concernant les « potentialités apocalyptiques de la techno-science » – tout en réfléchissant aux réponses concrètes possibles.

L’« écosophie » théorisée par Félix Guattari (1930- 1992) dans ses textes des années 1980 (éd. Lignes/Imec, 2014) compte parmi ces portes entrouvertes sur l’avenir. Sa réflexion sur une écologie environnementale, mais aussi « sociale » et « mentale », s’avère en effet de la plus grande actualité. Régulièrement, Edgar Morin (né en 1921), rappelle quant à lui l’urgente nécessité de réformer nos modes de pensée.

Ses archives constituent un véritable atelier de la pensée complexe, de l’écologie et des nouveaux arts de la transmission. Françoise d’Eaubonne (1920-2005), figure quelque peu oubliée, est récemment revenue dans le débat d’idées. Les nouvelles générations de chercheurs et de chercheuses redécouvrent en effet son rôle clef dans l’essor de l’écoféminisme.

La question écologique est aussi présente dans les collections de l’Imec au travers d’auteurs qui engagèrent un dialogue avec elle comme Jean Baudrillard, Jean Chesneaux, Jacques Derrida, Paul Virilio, ou lui portèrent toujours le plus grand intérêt personnel, comme Éric Rohmer. Enfin, la place de l’écologie dans les archives éditoriales est un terrain d’étude particulièrement fertile : les éditions La Découverte ou Le Seuil ont lancé des collections dédiées à ce sujet désormais central. Ainsi, plus que jamais peut-être, face aux menaces de disparition et d’oubli, les archives demeurent un conservatoire d’imaginaires.


  1. Lucile Schmid, « L’écologie pour tous », Esprit, janvier/février 2020.
  2. Edgar Morin et Anne-Brigitte Kern, Terre-Patrie, Le Seuil, 1993.

Article paru dans Les Carnets de l'Imec #13-14, à l'automne 2020