Cent ans après l'armistice, l'Imec propose, à partir de ses collections, une galerie virtuelle d'images consacrée à la guerre de 14-18. La Grande Guerre en archives permet à chacun de découvrir à son rythme, comme ouvrant une boite après l'autre, quelques traces, précieuses et souvent inédites, de la Grande Guerre. Un pont avec le passé.
Lire la suite ...« Parmi les archives de la Grande Guerre que recèlent de nombreux fonds de l’Imec, les plus frappantes sont les photographies : aussi bien des portraits de soldats en groupe et au repos, dans les tranchées ou en patrouille, que des photographies de paysages totalement dévastés (« tranchée de la fille morte, en Argonne », par exemple). La photographie sur plaques de verre, encore encombrante et fragile, qui ne peut être déployée que par temps de répit, ne permet pas encore de maîtriser tous les réglages : les images sont souvent peu contrastées, pâles, parfois fantomatiques, ce qui ajoute de l’étrangeté et du calme à certaines scènes. Mais les regards sont vaillants devant l’objectif (il s’agit de montrer qu’on est encore capables de vaincre), parfois assez ironiques, rarement désespérés ou hagards, comme la lecture du Feu de Henri Barbusse nous le laisserait attendre. Parmi les photographies, se trouvent un certain nombre de portraits d’écrivains, où l’on perçoit une conscience plus aiguë de la situation : le dernier portrait de Péguy, peu de jours avant sa mort, sûr de sa foi en la France ; Apollinaire, au regard déjà inquiet avant même d’être blessé ; Aragon, Fraenkel et Breton, adolescents encore, déjà médecins, brancardiers, comme la plupart des pacifistes ; Céline, jeune et fier cuirassier qui puisera sa haine de ses contemporaines dans les aléas de cette guerre, où il a été gravement blessé ; Brisson, officier exemplaire et dévoué à ses hommes ; Bernstein, nonchalant et néanmoins courageux aviateur et cavalier ; Paulhan, blessé et sombre, au milieu des infirmières en cornettes blanches… Chaque portrait photographique, pour être posé, n’en est pas moins lisible à plusieurs niveaux et riche d’informations diverses.
Les écrits de la Grande Guerre envoyés vers l’arrière, depuis la lettre familiale à l’œuvre autobiographique ou romanesque, en passant par les essais de poésie de circonstance de Pierre Albert-Birot, confirment l’évolution rapide qui se fit parmi les intellectuels, aux prises avec la douleur de perdre leurs amis de leur âge et la fameuse douceur de vivre d’avant 14 : quatre années de guerre et les écrivains et les artistes survivants allaient révolutionner le monde de l’esprit. De nombreux documents biographiques et administratifs ont été conservés, où transparaît la folie organisée de la guerre : la fausse monnaie en papier, utilisée dans les tranchées, mais aussi les innombrables modèles d’ausweiss (« ordre de transport pour isolé sans bagages et sans chevaux », par exemple), les tickets de ravitaillement, les modèles de correspondances aux armées, que l’Imprimerie nationale remettra en circulation vingt-deux ans plus tard. Ces archives démontrent qu’une guerre, au-delà des affrontements militaires, c’est aussi l’affrontement de deux administrations, qui gèrent sans états d’âme le capital humain et se doivent d’anticiper tous les événements…
Autre révélation des archives, très spécifique à la Grande Guerre : les dessins humoristiques et satiriques (Iribe, Forain, Vallotton, etc.) qui perpétuent en de nombreuses publications – parfois imprimées à même les tranchées – la veine anarchiste fin de siècle, tout en lui injectant un sang nationaliste dicté par les circonstances. Dans un autre registre, les coupures de presse collées dans un cahier, dont chaque ligne désinforme le lecteur, et les éléments de propagande, qui seront également réutilisés pendant la Seconde Guerre mondiale… Les archives éditoriales ne sont pas en reste : celles de Gautier-Languereau montrent l’évolution de la bande dessinée avec des planches de Bécassine consacrées à la guerre. Les éditions Larousse soulignent, quant à elles, l’enrichissement du langage et les mots nouveaux qui ont émergé pendant cette guerre : « poilu », « pinard », « crapouillot », « maous », « godasse », « boyau », par exemple, et même « Paname » qui rendait la permission vers la capitale encore plus désirable. Les abécédaires pour enfants proposent pour illustrer la lettre K : « Kamarades (camarades) en Larmes ». Enfin, ont été sélectionnées des pages, à la fois très belles esthétiquement et fortes historiquement, des carnets de guerre du peintre André Mare, ainsi que quelques dessins, croqués sur le motif par André Warnod.
« Ah Dieu ! que la guerre est jolie / Avec ses chants ses longs loisirs » écrivait Guillaume Apollinaire dans « L’Adieu du cavalier » (Calligrammes, 1918). Puissent les images proposées ici ne pas illustrer cette lasse exclamation, mais documenter une vision plus réaliste des horreurs de la guerre… »
Claire Paulhan
Août 2018
Fonds de l’IMEC représentés :
Fonds Pierre Albert-Birot, Albert Renouvin/Collection Vasseur, Henri Bernstein, Pierre Brisson, Jean-Paul Caracalla, Louis-Ferdinand Céline, Éditions Hachette, Éditions Pierre Lafitte, Claude-Louis Estève, Jean José Marchand, André Mare, Adrienne Monnier, Jean Paulhan, Conrad et Louise Schlumberger, André Warnod.