Coupures surréalistes
L’après-guerre soulève en France la question de la place du surréalisme dans un paysage intellectuel qui lui est particulièrement hostile, marqué par l’émergence de l’existentialisme et l’hégémonie culturelle du parti communiste. Jusqu’au seuil des années 70, André Breton (1896-1966) et ses amis vont préciser le sens de leur réponse à l’état de fait du monde en optant pour une coupure sur plusieurs plans : coupure avec les injonctions politiques les plus communément adoptées par les intellectuels de gauche au nom de fins soi-disant supérieures autorisant toutes les infamies ; coupure avec les critères ordinaires de la moralité en prenant le parti de l’imagination puisant ses forces dans l’humour envers et contre tout, l’omnipotence des passions ou encore les cultures extra-occidentales ; coupure avec le « bon goût » esthétique empêtré dans les conflits stériles de la figuration et de l’abstraction, du réalisme et du fantastique, comme dans l’impasse de l’engagement. Quelques années avant son auto-dissolution, le groupe surréaliste parisien trouve la formule la plus appropriée et sûrement la plus périlleuse, en ayant recours à l’œuvre de l’utopiste Charles Fourier : « L’Écart absolu ». C’était tenter le tout pour le tout afin de surmonter, ce que Breton avait déjà nommé dans Arcane 17 (1944-1947), « une époque sauvage ». L’histoire du mouvement surréaliste est à repenser dans la discontinuité de ces coupures : non pas seulement des mots d’ordre permanents depuis 1924 (la liberté, l’amour, la poésie), mais aussi des variables intensifiant le sens de la contestation d’une réalité à rejouer. C’est ce parti pris qui oriente le choix des archives présentées dans cette galerie surréaliste ; sans viser un point de vue de surplomb embrassant l’ensemble des enjeux, ces documents rarement exposés échappent néanmoins à deux travers : ils contournent les cadres chronologiques habituels et les lieux communs les plus exploités d’un mouvement trop souvent réduit à son apport étroitement artistique. Centrées sur la période s’ouvrant à partir de 1945, les collections surréalistes de l’Imec permettent d’ébaucher une autre histoire des coupures surréalistes pour aborder un pan négligé d’un mouvement international se plaçant passionnément sous le « signe ascendant ».
Jérôme Duwa
Docteur en histoire de l’art contemporain,
membre associé à l’UMR Thalim,
enseignant à l’École Estienne, Paris.