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Exposition Singuliers, focus sur trois pièces d'archives

Exposition Singuliers, focus sur trois pièces d'archives

Écrit par Thierry Davila

Dans le cadre de l’exposition Singuliers, présentée à l’abbaye d’Ardenne du 10 juin au 23 octobre 2022, nous vous proposons de découvrir quelques pièces exceptionnelles issues des collections de l’Imec et sélectionnées par le commissaire Thierry Davila.

Gisèle Freund - Son panthéon

Cette maquette de catalogue, fabriquée par Gisèle Freund (1908-2000) en 1986, résume d’une manière chronologique une partie de son œuvre de 1938 à 1975. Elle comprend cent quarante et une photographies en couleurs qui sont en grande majorité des portraits de figures intellectuelles et artistiques. On y trouve aussi enregistrés des moments de vie : une forêt pétrifiée en Patagonie (1943), une source d’eau chaude en Suisse (1955) ou des vues de Paris, par exemple. Lorsqu’elle arrive en France au début des années 1930, fuyant l’Allemagne nazie, Gisèle Freund a pour objectif de réaliser l’équivalent du Panthéon de Nadar, soit une galerie des portraits des plus grands écrivains et artistes de son temps (Colette, Paul Claudel, Virginia Woolf, James Joyce, Henri Michaux, Jean-Paul Sartre, Henri Matisse, Simone de Beauvoir, René Char, André Malraux…). À cette fin, en pionnière, elle utilise la couleur, et met tous ses modèles en situation d’intimité, au cœur de leur environnement familier.

Gisèle Freund. Projet de catalogue, 1986. Archives Galerie de France/Imec.
© Michaël Quemener / Imec

Fred Kupferman - L’existence hallucinée

Historien, spécialiste des relations franco-allemandes, Fred Kupferman (1934-1988) est l’auteur sous le pseudonyme de Le Fouët de textes surréalistes et fantastiques. Cet ouvrage titré Le Livre a été composé pendant les années 1970 et 1980, soit au cours des dernières décennies de la vie de son auteur. Le volume à la solide couverture rigide est particulièrement conséquent : il consiste en une somme de collages de dessins découpés, de figures décorées à l’encre noire ou avec des couleurs, préalablement réalisés par Kupferman, mais aussi de photos et de coupures de presse, de même que d’objets récupérés ou trouvés tels ces fils de laine colorée qui ornent une des pages. L’auteur, dont le père est mort à Auschwitz, et qui, enfant, portait pendant l’Occupation l’étoile jaune, semble à travers cet ouvrage récapituler certaines de ses obsessions intimes de même que certains des épisodes clés de son existence. C’est ainsi que si le sexe et le corps féminin y sont omniprésents, on y repère aussi à de multiples reprises le personnage de Pierre Laval, acteur majeur de la déportation des Juifs de France. Saturation et accumulation sont les deux opérations plastiques et manuelles qui structurent cet ouvrage que clôt un étonnant répertoire de mots. Saturation de toutes les pages qui sont remplies, encombrées de dessins et de documents, et cet horror vacui engendre un chaos de visions et de références. Accumulation des pages et des collages qui crée un bloc de papier, une stratification de la mémoire faisant de ce livre un objet archéologique : les couches qui le constituent sont autant de moments de sens reconstituant le labyrinthe d’une existence qui semble être à la fois partiellement restituée et largement hallucinée, faisant aussi de cet objet une archive intime et infernale.

Fred Kupferman. Le Livre, journal intime illustré, années 1970-1980. Archives Fred Kupferman/Imec.
© Michaël Quemener / Imec

Jean-Louis Florentz - Catalogue général

Compositeur de musique contemporaine mais aussi linguiste, ethnomusicologue et éthologue – il a en particulier travaillé sur les polyphonies d’oiseaux en milieu équatorial –, Jean-Louis Florentz (1947-2004) semble avoir nourri une passion pour la taxinomie. Cela se voit dans la façon dont il organise ses propres archives : il conçoit lui-même manuellement un catalogue de ses créations audiovisuelles et de ses carnets de voyage avec un code couleur, des tableaux pour classer les documents, tout un appareillage pour organiser et conserver son propre travail, autrement dit pour garder des traces de son existence. Particulièrement caractéristique de cette pulsion archivistique est le très frappant Livre d’or des voyages en avion qu’il remplit soigneusement jusqu’à la fin de ses jours et qu’il tient depuis son baptême de l’air en Boeing 707 en 1972. Il y note d’une manière chronologique non seulement les destinations des parcours mais leur durée – quelquefois à la seconde près – et les numéros de vol, le temps d’attente sur le tarmac, l’importance à ses yeux de chacun d’entre eux, poussant le soin et le souci du détail jusqu’à mentionner les incidents éventuels et à prendre des photos d’avions sur les pistes de décollage, incluses dans le cahier. Ainsi se voit combien et comment cette passion de l’archive, dont le rendu donne lieu à l’invention d’un véritable univers visuel, va jusqu’à tenter de retenir, et de donner à voir, des moments de vie finalement banals avec une application – une obstination – saisissante et constante. Raison pour laquelle elle devient ici un fait biographique qui ambitionne d’être total.

Jean-Louis Florentz. Livre d’or des voyages en avion, 1972-2004. Archives Jean-Louis Florentz/Imec.
© Michaël Quemener / Imec

Tous les renseignements sur l'exposition Singuliers sont disponibles ici.


Lien vers le fonds Gisèle Freund sur le portail des collections.

Lien vers le fonds Fred Kuperferman sur le portail des collections.

Lien vers le fonds Jean-Louis Florentz sur le portail des collections.

L'exposition s'accompagne de la publication d'un catalogue.