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On voit lentement Danielle Collobert

On voit lentement Danielle Collobert

Écrit par Lorraine Charles

En parcourant l’exposition « La Rage d’écrire », le visiteur peut découvrir, dans la vitrine consacrée à Danielle Collobert, un bloc de papier à lettres utilisé à l’horizontal, empli d’un texte d’une écriture régulière et particulièrement lisible, au feutre noir, qui met en scène deux personnages, deux acteurs, jamais nommés autrement que A et B. Une écriture fluide, dont les phrases n’en sont plus vraiment, qui se concentre sur l’essentiel – le son, le mouvement, les sensations.

On voit lentement, carnet de Danielle Collobert.
© Photographie Michaël Quémener / Imec.

Ce texte est une première version de ce qui deviendra une pièce radiophonique intitulée Polyphonie, réalisée par Jean-Jacques Vierne pour l’atelier de création radiophonique sur France Culture en 1973. Polyphonie est un aboutissement, la seule rendue publique par sa diffusion radiophonique, de tentatives rassemblées sous le titre Recherche.

Composé à partir de 1967, d’abord intitulé Scénario, puis Aux environs d’un film, avec pour sous-titres On voit lentement et Mémoire de A, Recherche est devenu un triptyque dont Polyphonie est une transposition, mise en son et en ondes grâce à trois acteurs : Bernard Murat, Roland Dubillard et Michael Lonsdale.

Comme le suggèrent ses premiers titres, Recherche est un récit cinématographique, conçu à l’origine comme un scénario. Le point de vue du lecteur épouse celui de la réalisatrice qui semble suivre les personnages à l’aide d’une caméra, dans des mouvements de zoom ou d’éloignement, en champ large ou resserré.

« vue de docks – entrepôts - silhouette de B – de plus en plus proche – arrêtée à regarder l’eau – l’eau – longtemps – B repart – arrachement 

des hommes sur le quai – va vers eux – un homme isolé – va vers lui- sort un papier de sa poche – le déplie – le lisse dans ses mains – hésitation – le tend à l’homme – regard de l’homme sur B – sur le papier – sur B – fait un geste dans une direction – B repart – l’homme le regarde marcher » (Œuvres, t.II, p. 201).

En quelques mots, Danielle Collobert donne à voir un décor, un personnage, un mouvement, une action et ce que ressent le personnage de B. Le récit est épuré, concentré sur l’essentiel.

Dans On voit lentement c’est le regard qui construit le récit, dans un temps étiré par l’attention aux gestes, même les plus infimes.

Ce processus de dépouillement, favorisé par la visualisation, intrinsèque à l’écriture scénaristique, fait de Recherche, selon Uccio Esposito-Torrigiani, son compagnon de vie et d’écriture, un chaînon important dans son évolution formelle (Cahiers, p.89-90). Rédigé entre Dire I et Dire II, Recherche consacre en effet l’omniprésence du tiret, la distance prise avec les structures classiques de la phrase et de la langue, marqueurs formels caractéristiques de son écriture.


Bibliographie :

Cahiers publiés par Uccio Esposito-Torrigiani aux éditions Seghers-Laffont, collection « Change » en 1983.

Recherche a été publié par Jean Daive aux éditions Fourbis en 1990.

Œuvres I et Œuvres II de Danielle Collobert ont été publiées par Françoise Morvan aux éditions POL en 2004 et 2005.


L'exposition « La Rage d’écrire » est visible à l'Abbaye d'Ardenne, du 29 octobre 2021 au 27 février 2022.


Lien vers le fonds Danielle Collobert sur le portail des collections.
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