Un belvédère d’archives : André et Bona Pieyre de Mandiargues à l’Imec
Écrit par Claire Paulhan
Lors du colloque de Cerisy consacré à André Pieyre de Mandiargues et les arts cet été, Claire Paulhan a présenté le fonds confié à l’Imec. En attendant la parution des actes de ce colloque passionnant, elle nous invite ici à une petite promenade dans les archives de deux grandes figures du surréalisme.
Le fonds Mandiargues a été déposé à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine par Sibylle, la fille de Bona et André Pieyre de Mandiargues, en plusieurs fois, à partir de 2002. Il a été classé par Mélina Reynaud ; l’inventaire réalisé compte 308 pages.
Les archives d’André Pieyre de Mandiargues (1909-1991) couvrent les années 1940 à 1991 et comprend 127 boîtes d’archives, qui remplissent 22 mètres linéaires (une demie travée dans nos magasins d’archives). En libre-accès dans la salle de lecture de l’Imec à l’abbaye d’Ardenne, 232 ouvrages constituent la bibliothèque de l’œuvre et la bibliothèque d’études…
Ce fonds présente un ensemble très riche de documents, manuscrits de l'œuvre, correspondances, écrits intimes, ainsi qu'une très abondante iconographie.
Les nombreux manuscrits, d'une écriture très soignée et lisible, presque sage, sont très souvent titrés (et titrés définitivement) ; ils se présentent sur des feuilles libres de papier bistre, blanc, parfois des pelures de couleur (vert, rose), avec une petite marge (et parfois sans marge du tout). Ils couvrent l'ensemble de ses activités littéraires et critiques. Certains documents annexes peuvent avoir été conservés avec les versions du manuscrit achevé : présentation, épreuves corrigées, pièces jointes (coupure de presse, image, ticket d’entrée à un musée, carte postale, lettre d’éditeur, etc.). Mais il faut noter qu’il existe peu de brouillons échevelés (ou raturés, corrigés) de ces mêmes œuvres. On peut en déduire qu’André Pieyre de Mandiargues était méthodique, qu’il jetait à la corbeille les versions caduques et qu’il tenait bien ses dossiers.
C'est plutôt dans les nombreux carnets et cahiers de notes, aux contenus divers et variés, que l'on trouve des ébauches de textes et des fragments de poèmes. Les 28 « carnets de création », comme il les nomme parfois, contiennent aussi des notes et réflexions sur la littérature, des citations littéraires parfois réemployées, ainsi que des observations à caractère plus personnel. Ces carnets aux dates imprécises, parfois utilisés recto-verso à des périodes différentes, sont décrits dans l’inventaire par les thèmes évoqués, mais la consultation de ces carnets personnels, qui se présentent parfois comme un journal intime, nécessite l'accord de la déposante.
La correspondance entretenue avec de nombreux poètes, romanciers et artistes contemporains dessine la constellation des échanges intellectuels de l’écrivain. On a recensé un peu plus de 870 correspondants, dont Mandiargues a conservé les lettres. En général, les dossiers de correspondances ne sont pas très fournis, mais certains cependant sont conséquents : notamment avec Jean Paulhan, mais aussi avec Léonor Fini, Alain Jouffroy, Nelly Kaplan, Joyce Mansour, Meret Oppenheim, Olivier Perrelet, Pierre Oster, Alejandra Pizarnik, Bernard Noël, Edith Boissonnas, Francis Ponge, Giuseppe Ungaretti [1]… Le mélange des générations de ses interlocuteurs et de leurs origines est remarquable et montre la curiosité de Mandiargues, entretenue tout au long de ses nombreux voyages : nombre d’écrivains italiens et sud-américains figurent parmi ses correspondants. Mais on trouve peu de lettres de Mandiargues lui-même : 9 petits dossiers, très incomplets…
Enfin, il y a dans ce fonds, des documents biographiques, dont des dossiers de relations avec ses éditeurs (plus de 28 éditeurs français, dont, tenant le haut du pavé, Laffont et Gallimard, et 12 éditeurs étrangers, dont des danois, polonais, japonais, portugais, norvégien, autrichien, et bien sûr anglais…), des dossiers de presse ainsi qu'un très important ensemble de photographies de l'écrivain seul, avec Bona ou avec leurs amis, à différentes époques : depuis celles de Cartier-Bresson, du temps de leur jeunesse commune dans les années 1930, à celles prises par des amis photographes qui sont composées et mises en scène, en passant par celles prises par Bona, témoin et actrice d’une vie audacieuse, tout entière tournée vers l’art, sous toutes ses formes…
Ce fonds entretient des liens étroits avec quelques autres présents à l’Imec : fonds Jean Paulhan, Georges Lambrichs, Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, Alain Robbe-Grillet, Yves de Bayser, Guy Dumur, Jean Follain et bien sûr avec celui de Bona Pieyre de Mandiargues.
Car nous avons finalement distingué le fonds André Pieyre de Mandiargues du fonds Bona de Mandiargues (1926-2000), sa femme depuis 1950, qu’il était plus légitime de classer parmi les fonds d’artistes… : 29 boîtes de ses archives couvrent la période 1950-1998 et l’on possède 28 ouvrages d’elle ou sur elle.
Ce fonds se compose d'une part des manuscrits de l'œuvre littéraire de Bona de Mandiargues (autobiographie, récits et poèmes) : elle publia La Cafarde (1967) que son mari qualifia de "petit récit assez fantasque et terrible", une autobiographie, Bonaventure (1977) ainsi que des poèmes, À moi-même (1988). Peu de temps avant sa mort, elle rédigea en italien un livre de souvenirs d'enfance, qui fut publié de façon posthume : Vivre en herbe (2001). Elle fut également traductrice de l'italien
Le fond comprend d’autre part des documents se rapportant à son œuvre graphique : photographies de ses œuvres, listes d'œuvres, catalogues et cartons d'expositions. Engagée dans la voie de la peinture dès le début de la Seconde Guerre mondiale, elle est en effet considérée comme l'une des artistes majeures du renouveau du surréalisme, et exposa ses tableaux et ses collages de tissus, en Italie et à Paris.
À ces ensembles, s'ajoutent des notes de travail, des éléments biographiques (agendas, carnets personnels), un dossier de presse et des photographies pour la plupart réalisées par Bona de Mandiargues. La correspondance, commune au couple, est décrite dans le fonds André Pieyre de Mandiargues.
Dans les archives d’André Pieyre de Mandiargues, on trouve des archives intéressant l’histoire littéraire et les réseaux de sociabilité, mais on trouve aussi beaucoup de petites « choses » ravissantes, étonnantes et curieuses. Je pense entre autres à ces desiderata concernant son propre faire-part de décès. Il écrit en effet à sa femme à la fin des années 40 ou au début des années 50 : « [ce] faire-part que je voudrais bien composé en caractères garamond, italiques pour plus de légèreté, sur un papier de couleur vive […] » [2]. Je crois qu’une telle attention à l’esthétique, à la forme, y compris à l’heure de commencer à penser à sa propre mort, résume bien sa relation à ses archives : même une fois rangées au cordeau, emprisonnées dans des chemises grises et non-acides, rangées dans des « conteneurs en polypropylène alvéolaire », dont le code de base est « 218PDM » suivie d’une numérotation de la boîte et des dossiers, ses archives ne manquent pas, à chaque ouverture de boîte, de ravir l’œil et l’esprit. En quelque sorte, elles demeurent vivantes et pleines de cette imagination érudite, de cet univers fantasmatique, de cette « surréalité romantique [3] » , qui n’appartenait qu’à André et Bona Pieyre de Mandiargues…
Notes :
[1]. On peut noter aussi les lettres de ceux qui ont déjà leurs fonds à l’Imec : Arrabal, Audiberti, Blavier, Bonnafé, Borgeaud, Bourgeade, Celan-Lestrange, Clancier, Copi, Cuny, Dalmas, Deguy, Deux, Dumur, Duvignaud, Faye, Follain, Fouchet, Gaspar (Lorand), Blaise Gautier, J.-E. Hallier, les Hélion, M. Henry, Jabès, Jouffroy, Khoury-Ghata, Lambrichs, Lang, Lannes, Noguez, Parant, Pia, Prigent, Ricardou, Robbe-Grillet, Roche, Schehadé, Schuster, Stefan, Stétié, Vigée, Weingarten…
[2]. Correspondance « André à Bona, Dossier 1947-1964 », chemise 1949-1951, Imec/ Fonds André et Bona Pieyre de Mandiargues/ 218PDM/54.
[3]. André Pieyre de Mandiargues, Soleil des Loups, Paris, Gallimard, 1951.