Le regard d'Yves Chèvrefils-Desbiolles : dans le fonds Galerie Breteau
Écrit par Yves Chèvrefils-Desbiolles
Troisième texte de la série : "Le 17 février 1939, à la Galerie Matière et Formes, Jean Weidt danse"
Le 17 février 1939 est jour de fête dans la cour d’un immeuble de la Rive gauche parisienne : la Galerie Matières et Formes, créée deux ans plus tôt dans un tout petit local d’une rue voisine, s’installe rue Bonaparte dans une vaste galerie-résidence. Dans le hall et le sous-sol, René Breteau, le directeur, accroche tableaux et estampes, dispose sculptures, tissages, tissus imprimés, reliures, émaux, céramiques, poterie, tapis, que lui ont fait parvenir de nombreux jeunes artistes associés aux groupes Témoignage et Mouvement qu’il défend depuis le début de son aventure. L’homme aide les artistes et les artisans qui sont au début de leur carrière ; il a prévu pour eux des ateliers ; il compte même installer un plateau à l’usage des jeunes compagnies théâtrales.
Les vernissages de la galerie, qui porte désormais le nom de son fondateur, sont toujours des célébrations et ce soir-là, chez René Breteau, voix et musique sont convoquées : Jacqueline de Lisle dit des poèmes de Jean Cocteau, Ernest Engel joue des variations tirées de l’Opéra de Quatre Sous, Rosetta Carter exécute une sonate et Dimitri Renngarten un prélude de leur composition ; deux opus de Pierre Barbaud sont interprétés. Mais les deux seules photographies de l’événement qui ont été conservées dans les archives de la Galerie Breteau sont réservées à un seul des noms portés au programme, celui de Hans Weidt, le maître des « Ballets 38 ».
Hans ou Jean Weidt est une personnalité hors normes de la scène parisienne de ce temps. Surnommé le « danseur rouge », il est né en 1904 dans une famille pauvre de Hambourg. En 1929, il crée une petite compagnie qui se livre par la danse à une féroce critique sociale et politique de la République de Weimar. Inquiété par les nazis, Hans Weidt quitte l’Allemagne en 1933 et s’installe à Paris. Il danse, masqué, dans la Cour carrée du Louvre, puis se fait connaître, devient l’ami de Mouloudji, de Roger et Noël Blin, de Jean-Louis Barrault. De jeunes danseurs, dont Françoise Michaud et Dominique Dupuy, le rejoignent ; la réputation de la petite compagnie croît.
Sa « performance » de février 1939 à la galerie Breteau – devant un public (on reconnaît Étienne-Martin, barbu, assis au premier rang) dont l'immobilité sérieuse contraste avec le corps du danseur animé et souriant – sera l'une des dernières manifestations de Jean Weidt avant la guerre. Interné comme apatride dans un camp français d’Afrique du Nord, il combat ensuite les troupes allemandes sous l’uniforme britannique. En 1946, Jean Weidt revient à Paris pour fonder les « Ballets des Arts ».
Le témoignage de Dominique Dupuy dans L'Aventure de la danse moderne en France 1920-1970 (Éditions Bougé, 1990), ainsi que le site internet des Archives de la danse (Tanzarchiv) de Leipzig et celui du Centre national de la danse de Pantin, permettent de comprendre la carrière de Jean Weidt à la fois brillante (médaille d’or au dernier concours des Archives internationale de la danse, à Copenhague en 1947) et difficile (déçu par une critique parisienne – prompte à moquer, contre toute vraisemblance, le danseur « existentialiste » - il quitte la France en 1948 et s’installe à Berlin-Est).
Pour en savoir plus :
La Lettre de l'Imec n°13 consacrée aux fonds d'artistes.