Le regard d'Yves Chèvrefils-Desbiolles : le fonds Dado à l'Imec
Écrit par Yves Chèvrefils-Desbiolles
Yves Chèvrefils-Desbiolles, responsable des fonds d'artistes à l'Imec, vient de partir à la retraite. Présent à nos côtés depuis les débuts de l'Institut, son intérêt pour les artistes, les archives et les livres d'art ne se sont jamais démentis. Fin connaisseur de l'histoire de l'abbaye d'Ardenne, ses visites historiques étaient chaque année un moment important des Journées européennes du patrimoine. Pour saluer amicalement son départ vers d'autres horizons (ensoleillés), nous publions ici avec plaisir quatre textes inédits d'Yves.
Premier texte de la série : "Dado et l'Imec".
Vers la fin du mois mai 2005, un artiste, Dado, visite l’abbaye d’Ardenne. La beauté des lieux lui a été décrite par un ami, l’architecte en chef des monuments historiques Bruno Decaris. Il a aussi entendu parler du travail de mise en valeur mené par l’Imec dans cette abbaye d’Ardenne, avec les archives intellectuelles et artistiques qui lui ont été confiées.
La visite terminée, Dado a pris sa décision. Ses archives iront rejoindre celles de Dotremont, Pignon, Fougeron, Hélion, Mare, Le Gac, Masurovsky, Goldfarb, Bazaine, Freundlich, Beöthy, Le Gac, Maccheroni, Lapoujade, Gagnaire, Mare, dans les vastes magasins aménagés dans le sous-sol de l’abbaye. De la besace qu’il porte à l’épaule, Dado sort alors un livre imposant par sa taille, une sorte d’encyclopédie d’ornithologie : par ordre alphabétique, tous les oiseaux du monde y ont leur page. Il déchire une vingtaine de ces pages et d’une main rapide améliore chaque oiseau. « Ca vient d’un livre et c’est pour l’Imec ! ».
Merci, Dado. Mais ce ne sont pas à proprement parler des archives. Dado, en effet, n’a chez lui que des débris d’archives, quelques lettres ou photographies oubliées dans des tiroirs ou dans quelque endroit improbable vu le piteux état de certaines d'entre elles. Rien qui ne puisse s’appeler « fonds d’archives » ou même « fonds documentaire ». Le désir d’archives, cependant, est puissant. Dado réagit alors en artiste.
Il met au point un concept d’archives bien à lui, qui tient cependant compte de la mission de l'Imec, en « ADNnisant » – l’expression lui appartient – des catalogues anciens ou récents, un petit livre de poèmes ou tout autre imprimé le concernant. C’est-à-dire en y introduisant toutes sorte d’artefacts de la vie qui court, correspondances sérieuses ou banales, factures, ordonnances de médecins, cartes postales, des photographies de lui, de ses enfants, de sa maison, de son atelier, de ses oeuvres, etc., sans oublier de les retoucher avec de l'encre, un crayon ou autrement.
Parallèlement, il demande à chaque galerie ou musée, aux photographes, aux fondeurs avec qui il a travaillé, de m’adresser catalogues, cédéroms, cartons d’invitation et autres extraits de presse. Pendant une bonne douzaine de mois, je reçois hebdomadairement un, deux voire trois « Dado » enveloppés et timbrés... Par ailleurs, petit à petit, Dado explore les parties négligées de la maison qu’il habite depuis plus d’un demi siècle près de Gisors. Des pépites en ressortent : cahiers de jeunesse et carnets de dessins, correspondances et photographies délaissées…, à ce jour, près de dix boîtes d’archives et de documents.
Dado suit également de près les événements éditoriaux auxquels est mêlé l’Imec, notamment la parution de Suite française d’Irène Némirovsky, dont le manuscrit a été terminé peu de jours avant qu’elle ne soit déportée à Auschwitz. La lecture de Suite française a profondément ému Dado qui, enfant des Balkans (il est né au Monténégro en 1933), a aussi vécu dans une société que la guerre liquéfie. Il souhaite rendre hommage à l’auteure. Mais de quelle façon ? Nous tombons d’accord pour que je lui fasse parvenir à intervalles réguliers des reproductions de pages manuscrites du roman d’Irène Némirovsky, qu’il rectifie aussitôt, comme les oiseaux.
Avec l’accord de l’Imec et de Denise Epstein, fille d’Irène Némirovsky, les Éditions de la Différence et la galerie Beaubourg ont publié en 2007 un ouvrage de Dado, Les Oiseaux d’Irène, où l’on retrouve dans un face à face inquiétant pages manuscrites et oiseaux retouchés qui signifient, sans le montrer ni le nommer, le destin d’un des meilleurs écrivains de l’entre-deux-guerres.
Pour en savoir plus :
La Lettre de l'Imec n°13 consacrée aux fonds d'artistes.