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À quel titre se vouer ?

À quel titre se vouer ?

« Alexandre ? Ah, c’est vrai que tu l’appelles comme ça », lance l’inspecteur Bonny (Claude Rich) à son confrère Boussaud (Marcel Cuvelier). Le patronyme de Stavisky n’est presque jamais prononcé dans le film. Qu’il figure dans son titre pourrait paraître une concession, voire une malice de la part d’Alain Resnais, lequel a toujours fait grand cas du choix des titres de ses films et aimait dresser de longues listes avant de se décider. Comme on le voit à la lecture de ces deux pages composées séparément, les hypothèses les plus farfelues (Comme un bruit d’abeilles, La guerre d’Espagne n’aura pas lieu, Le Voyage à Libourne) côtoient des formules plus attendues. J’aime à penser que de telles rêveries poussées parfois très loin aiguillaient la création de Resnais et l’aidaient, jusque dans la salle de montage, à trouver le film qu’il voulait faire.

Dans le cas de Stavisky… c’est plus compliqué. Resnais y dirige une vedette (Jean-Paul Belmondo, également coproducteur du film) qui vient d’entamer avec L’Héritier et Le Magnifique sa série de films en Le… Faut-il la poursuivre ou au contraire la suspendre pour marquer la différence dans la démarche de Resnais dont le portrait en puzzle se fait volontiers choral ? Et justement, quel aspect du film valoriser grâce au titre ? La comédie de l’escroquerie (Les Bonnes Combines, le très série B Émeraudes au kilog, le désuet Mon escroc adoré), l’histoire d’amour (Arlette et Alexandre), la confrontation avec Trotski (Ce bougre d’Alexandre et ce sacré Léon, ou plus simplement Ce bougre d’Alexandre qui a longtemps eu la préférence de Resnais pour son parfum 1930), la chronique d’une mort annoncée (Le Spectre d’Alexandre, Le Tombeau de Stavisky) ?

Un survol des titres imaginés témoigne d’une hésitation dans l’appellation du personnage. Utiliser son prénom, Alexandre, traduit bien le rapport à l’intime en même temps qu’il offre un clin d’œil historique : Alexandre le Petit ou L’Empire d’Alexandre. Ce second titre qui figurait en tête du découpage technique et sur les claps a pour atout de renvoyer aussi au théâtre de l’Empire acheté par le protagoniste pour y faire représenter des opérettes comme Deux Sous de fleurs. Resnais dira que cet emploi du mot « empire » comportait trop de références et de significations empilées. Inversement, Stavisky annonce une reconstitution historique quand L’Affaire Stavisky fait trop songer à L’Affaire Mattei, l’excellent film-dossier de Francesco Rosi qui ne ressemble en rien à la rêverie mélancolique de Resnais dans la France de 1933. C’est pourtant sous ce titre L’Affaire Stavisky, le plus identifiable sinon le plus vendeur, que le film a été le plus souvent cité dans la presse pendant ses mois de tournage.

La suite est connue : sous la pression du distributeur, le film s’est appelé Stavisky… Resnais a obtenu l’ajout des points de suspension pour « donner l’intonation, comme les premiers mots d’une chanson », et pour annoncer un Stavisky plus onirique qu’historique. Moi, j’ai toujours pensé que le film aurait dû s’intituler Biarritz-Bonheur. Le cinéaste a déclaré pour la première fois au détour d’un entretien sur Mélo en 1986 qu’il « persistait » à appeler le film ainsi, et ne semble pas avoir varié par la suite. Biarritz-Bonheur était le nom d’un magasin qui, de l’aveu du baron Raoul (Charles Boyer) face à la commission d’enquête parlementaire d’avril 1934, « symbolise toute cette époque ». Comme l’évocation d’un temps à jamais perdu, celui des mondanités au bras d’Arlette et au volant d’une Hispano. Évocation qu’on retrouve finalement dans les points de suspension. Dommage qu’ils soient trop souvent oubliés. Ils sont indissociables du fox-trot funèbre que Stephen Sondheim a composé pour le film.

Philippe Rouyer