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Le choix des matières

Le choix des matières

Un voile, un motif floral des années 70, un crêpe qui tombe dans le poids, une matière laineuse, un tissu élastique...

Ces morceaux de tissus jetés pêle-mêle me replongent dans l'effervescence de cette transmission d'un extrait de Déserts d'Amour à Mulhouse. « Suite pour neuf danseurs » avec les danseurs du Ballet du Rhin en 2006.

Ils résument d'une certaine façon notre démarche au sein des Carnets Bagouet, et notre positionnement vis-à-vis de l'œuvre : c'est comme une envie d'entrer en dialogue avec elle.

Une plongée dans l'œuvre de Bagouet qui d'un bout à l'autre du projet de transmission, me propose des choix, des contraintes, des libertés. Le choix des danseurs, le choix de l'extrait, le choix des mots, le choix des costumes ...

Dans une même journée, successivement professeur, chorégraphe, danseuse, interprète, scénographe...je re-traverse ces gestes mille fois vécus, regardés, re-sentis, et à chaque transmission re-donnés dans leur essence pour que l'autre les re-prenne d'où il/elle est.

La question du « re » est tant de fois venue dans nos discussions au sein des Carnets Bagouet.

L'enjeu est de re-vivre cette danse et de la re-voir. Mais on se rend compte bien vite, qu'elle fait son chemin dans la rencontre avec de nouveaux corps, dans un autre temps, un autre lieu. Et puis elle vit !

Dans le travail de transmission, on est dans le présent de l'échange corps à corps, dans le détail sensible, à l'écoute de la personne avec qui on partage cette matière.

Et parfois, il y a cette mystérieuse présence comme un ange qui veille au loin, la voix, les expressions, les mots de Dominique qui me traversent l'esprit. A quel moment je peux dire : « c'est ça » ? Je n'ai pas la réponse. Elle est quelque part dans la relation au sol, dans le poids des coudes, dans le regard calme, dans la musicalité du mouvement.

J'ai la charge de « veiller au grain », ouvrière appliquée, responsable, j'accomplis ma tâche. J'aime confier cette danse comme un trésor et me réjouir de cette passation.

Le soir de la première n'est qu'un instant T, fragile dans le corps des uns, éphémère dans le regard des autres. L'enjeu de la transmission de l'œuvre dépasse pour moi le résultat obtenu sur scène. Il est au cœur du travail tout au long du processus. La danse de Bagouet fait école, elle travaille les corps, elle les structure, elle affine les qualités, elle est jubilatoire, elle amuse et déroute l'imaginaire.

Au cours du processus de transmission, je suis heureuse quand on a passé l'étape de la forme, du dessin, pour rentrer dans le « vif du sujet ». Au sens propre du terme ! La présence nue de chacun, la relation à soi, aux autres. Pour certains danseurs qui s'accrochent à leur technique et à leurs représentations, le chemin peut être difficile. Il faut lâcher la force et l'envie de démontrer. Au fil des transmissions une certaine confiance nous aide à faire face à ces résistances : nous avons petit à petit trouvé les mots pour justifier de la posture, convaincre de l'importance du détail. Au-delà d'apprendre des pas il s'agit de se rendre disponible pour accueillir cette danse complexe dans un corps à la fois calme et réactif.

Le mouvement se travaille, se cisèle, parfois il se dénature, « c'est pas ça », alors on reprend. Et puis un jour, en ayant pris le temps de l'appropriation, le danseur est « chez lui » La danse de Bagouet est là et il est là aussi.

Cette écriture est solide et c'est toujours un bonheur de la voir traversée par de nouvelles présences.

Pour revenir au choix des costumes, face à ce groupe de danseurs d'âges et de corpulences différentes, il me tenait à cœur de distinguer les hommes et les femmes -- A la création on gommait le genre, ici on le revendique et l'incarnation de chacun est mise en valeur.

Mon choix, directement inspiré des films de Truffaut, s'est porté sur le style quotidien des années 60. Le choix de la couleur chair et de la transparence vient de cette envie de voir la peau tant les mouvements nous semblent reliés par un courant qui circule à la surface du corps.

Tout comme l'écriture fait apparaitre dans cette pièce le collectif et l'individu, la couleur chair unifie le groupe et les différents costumes distinguent chaque personne.

Ces vêtements de « gens comme tout le monde » font ressortir le côté humain et réel. Ce qu'on aime souligner dans la danse de Dominique. Des hommes et des femmes qui parlent un langage commun, mystérieux, qui tracent leurs chemins tout au long de partitions modulaires et contraignantes sans en faire des robots mais au contraire des individus revendiquant chacun toutes les nuances de leur être.

Dominique Noel