L'archive me séduit : cette note autographe s'étend sur une page entière et traite d'un sujet unique (qui taraudait Édouard), le doute vis-à-vis de la peinture. La page est d'une belle cohérence formelle et sémantique puisqu'elle commence par une phrase grammaticalement simple comme un aveu, et se clôt sur une autre phrase complète avec point final, qui se termine elle-même par les trois mots « machine à dessiner ». J'aime beaucoup lorsque dans un livre une page forme un bloc sans coupure de mots, ce qui arrive rarement : c'est le cas ici. La page possède une unité manifeste, graphique et visuelle. Au-delà de cette séduction involontaire (encore plus belle parce qu'involontaire, un peu comme certaines coquilles), l'extraordinaire lucidité dont Édouard faisait montre à propos d'un monde de l'art corrompu par ses contradictions marchandes, reprend ici le topos baudelairien : « Qu'est-ce que l'art ? Prostitution », que le poète avait noté dans son journal intime. Une autre question se pose à travers cette archive : cette page isolée et non datée fait-elle partie du Journal d'Édouard, sachant qu'il tenait un journal dans lequel il n'a pas inclus cette page ? Comment éditer le journal d'un écrivain ?
Thomas Clerc