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L'affiche ne crée pas le besoin, elle le canalise

L'affiche ne crée pas le besoin, elle le canalise

Écrit par David Castrec

Graphiste et typographe de renom, Roger Excoffon (1910-1983) s’attacha à penser « le dessin de la lettre comme une discipline fondamentale, voire comme un exercice rare de maîtrise intellectuelle, impliquant toutes les disciplines »[1]. Conseiller artistique de la fonderie Olive à partir de 1945, il y créa des caractères devenus des classiques, comme le Banco, le Mistral ou l’Antique Olive. Figure marquante du graphisme et de la communication visuelle d’après-guerre en France, il affirma dès 1956 et sur plus d’une décennie (époque où il est considéré comme l’un des seuls grands affichistes français avec Raymond Savignac ou Bernard Villemot) une recherche dans cet espace « qui sépare le signe de l’image suggérée »[2]. Par ses affiches gestuelles, il insistait sur la signifiance de l’œuvre graphique.

"Antique", croquis préparatoire à la création du caractère
Fonds Roger Excoffon / Archives Imec

Consulté par les grandes sociétés internationales comme par les organismes officiels, directeur artistique d’Air-France dès la fin des années 1950 puis en charge, à partir de 1968, des campagnes publicitaires pour la SNCF, Roger Excoffon s’impose comme « Art Director » et « affichiste ». Savignac dira : « Excoffon dédaigne les allégories faciles, s’empare probablement des vieilles fréquences graphiques mais en les arrachant de leurs frontons ».

Dans une note intitulée « A.I.D.A. » (A : Attention ; I : Intérêt ; D : Désir ; A : Achat), sorte d’essai sur l’annonce publicitaire, Roger Excoffon s’interroge sur le rôle de l’image – « sans parler de l’image qu’est le texte » - dans l’annonce publicitaire qui doit répondre à ces 4 points. Cette même image doit dans un immédiat mettre le lecteur dans une disposition favorable, ce qui sous-entend que le graphiste publicitaire, « contrairement à l’artiste libre » comme le précise Roger Excoffon, doit avoir pris conscience de la « vision moyenne qu’a la foule d’un produit et la lui restituer idéalement transcrite ».

Lors de sa recherche, de son analyse du processus mental pour la traduction graphique d’un sentiment, d’un choc, d’une sensation, Roger Excoffon a souvent recours, au-delà de la couleur rouge, ou celle du jaune moutarde, à l’utilisation du bleu. Il aime le bleu, il s’y sent à l’aise, cette couleur possédant une gamme infinie de ressources, « couleur qui dit et traduit bien la France » selon lui.

Fonds Roger Excoffon / Archives Imec

Il utilisera le bleu avec subtilité, avec des variantes n’appartenant qu’à lui, pour l’affiche de la commémoration du 150e anniversaire du rail en France en 1982, dans un style proche de Cassandre (autre grand affichiste du XXe siècle), celle pour les Xe Jeux olympiques de Grenoble en hiver 1968 ou celle à l’occasion de l’emprunt d’État de 1973.

Gérard Blanchard, son disciple, témoignera de la technique employée par Roger Excoffon : « les coups de pinceaux sont le fruit d’innombrables tracés et la composition des meilleurs morceaux (des meilleurs mouvements) de chacun. Cet assemblage, ce collage est ensuite minutieusement reconstitué »[3].

Deux projets d’affiche n’eurent cependant pas le succès escompté. Pour la première, il s’agit de celle qu’il proposa pour le film de Claude Sautet Les Choses de la vie, avec Romy Schneider et Michel Piccoli. Pour cette affiche tout est dans le mouvement : personnage au volant d’une voiture qui perd le contrôle —la vitesse, la cause, en est renforcée. Le personnage est en bleu. Ce projet d’affiche ne fut pas retenu. La proposition de Roger Excoffon était sans doute trop novatrice, contraire à ce qui pouvait se faire à l’époque dans le « lisse » et le « rugueux ». Rappelons que pour le cinéma, la magnifique affiche du film La Prisonnière d'Henri-Georges Clouzot (1969) bénéficie de la « patte » d’Excoffon.

Projet d'affiche pour le film Les Choses de la vie
Fonds Roger Excoffon / Archives Imec

Pour la deuxième, il se consacre à la conception d’une affiche pour Danone en 1968. « Le visualisme » est un terme inventé par Roger Excoffon, notion qui tend à faire éclater les limites trop étroites du graphisme ou du moins d’en élargir le champ. Roger Excoffon fait de la lettre, magnifique dessin « abstrait », composant de l’affiche, l’objet lui-même, devenu un signe graphique, simplifiée, presque plus reconnaissable, et pour lui « sous le mécénat de la publicité le visuel peut éclater ».

Projet d'affiche pour Danone
Fonds Roger Excoffon / Archives Imec

Notes :

  • Titre : « L'affiche ne crée pas le besoin, elle le canalise » est une citation de Roger Excoffon.
  • [1] Gérard Blanchard, « Vive la typographie ! », Impressions, bulletin de l’Imprimerie Nationale, n° 24, août 1983.
  • [2] Maximilien Vox, « Affiches en voyage », dans L’Esprit des murs de Paris, 1965.
  • [3] Gérard Blanchard, Mendoza José. « Excoffon», Communication et langages, n° 57, 3e trimestre 1983

Pour aller plus loin :

  • Le fonds Roger Excoffon est conservé à l'Imec depuis 2011. Les archives du fonds couvrent essentiellement l'activité de typographe de Roger Excoffon à la Fonderie Olive et son activité de graphiste et publicitaire à travers ses deux agences de publicité, U & O (créée en 1957) et Excoffon Conseil (créée en 1971).
  • Les fonds Maximilien Vox et Gérard Blanchard sont également déposés à l’Imec.
  • La bibliothèque spécialisée sur l’histoire de l’archive et de l’imprimé de l’IMEC comporte de nombreux ouvrages sur la typographie. Ils sont librement consultables par les chercheurs et les lecteurs.
  • La revue Brasero n°3 publie un autre article de David Castrec, « Roger Excoffon et ses caractères », qui retrace en détail la carrière du typographe.
  • Le site roger-excoffon.com propose de nombreux exemples de son travail.

Lien vers le fonds Roger Excoffon sur le portail des collections.
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