La lecture de Décimale blanche de Jean Daive paru au Mercure de France en 1967 fut déterminante pour Anne-Marie Albiach. Le 13 juillet 1984, dans un entretien avec Joseph Simas, publié dans le numéro 3 de la revue Nioques (1991), elle déclare : « J’ai cherché l’absence de thème, et à travers le livre de Jean Daive, Décimale blanche, j’ai trouvé enfin la référence d’Igitur. Ça a fait jaillir en moi une sorte de liberté… En fait, État vient en partie d’une étude sur Décimale blanche. J’ai pris un livre contemporain de mon écriture, j’ai travaillé une prose à partir de Décimale blanche et j’en ai tiré un livre… À tel point que je voulais mettre à la fin de ce livre, État, que le second mouvement était un commentaire de Décimale blanche. Jean Daive n’a pas voulu, et je crois qu’il avait raison. Je voulais le mettre par honnêteté car c’était véritablement une réflexion sur Décimale blanche. »
Le livre de Jean Daive est un événement discursif, c’est-à-dire un moment du discours dans État, le « commentaire » de Décimale blanche est certes fidèle aux vers lus avec la plus grande rigueur, mais il s’autonomise, le récit qui a pu s’initier dans la lecture du livre de Jean Daive est fortement lié à la syntaxe, le commentaire serait syntaxique, il est très éloigné d’une « interprétation ». En effet Anne-Marie Albiach précise : Commentaire ou monologue qui est le titre d’une séquence d’État indique précisément que le commentaire est devenu inséparable d’un monologue, l’extériorité initiale est intériorisée. Mais ce monologue n’est pas celui de l’auteure propriétaire de son commentaire. Anne-Marie Albiach, dans l’entretien accordé à la revue Action poétique en 1978, entend dénoncer « l’idée qu’a l’auteur, généralement, de la propriété ambiguë de son texte… En fait, le texte je le voudrais libéré de toute appartenance. » La condition de cette libération du texte est son contexte, il n’y a pas de hors-texte et il n’y a pas de monologue intérieur. Anne-Marie Albiach prend cependant au monologue intérieur tel que le thématise Édouard Dujardin son « minimum syntaxial ». Ce minimum qui donne au monologue intérieur son rythme selon Édouard Dujardin permet à Anne-Marie Albiach d’extérioriser ce qui est au plus intime de sa lecture, sa lecture s’est exposée, mise en scène, dans le temps et dans l’espace du poème. Le commentaire transforme le monologue en monologue extérieur.
Francis Cohen