Anne-Marie Albiach a écrit un texte sur Aely, le sixième livre du Livre des questions d’Edmond Jabès. Ce texte, intitulé Loi(e) et publié dans Anawratha en 1984 aux éditions Spectres Familiers, n’est jamais mentionné dans les études sur Edmond Jabès. Pourquoi ?
Loi(e) déconcerte parce qu’il est écrit dans la proximité la plus radicale avec le texte d’Edmond Jabès, à la place qui est exigée du lecteur du Livre des questions. Proximité et fidélité, fidélité et éloignement parce que la fidélité est fidélité à l’écriture-de-la-lecture. Commencer à lire, c’est toujours recommencer à écrire depuis la place occupée pendant la lecture. Dans l’entretien donné à la revue Action poétique en 1978, Anne-Marie Albiach dit : « J’écris dans la réverbération de certaines écritures actuelles. Il y en a d’autres comme celle d’Edmond Jabès ou celle de Roger Giroux. » Je crois donc que Loi(e) est aussi, compte tenu de la logique propre à son écriture, un commentaire d’État, et qu’Aely est pour le lecteur d’État un point de vue sur le livre d’Anne-Marie Albiach. Il est surprenant de lire dès la deuxième page d’Aely : « Dans les spires d’avant l’avant-livre/tu découvres avec le cercle brisé, que/le centre est la cime. » La spire est le motif central d’État, elle figure la structure d’État, spire indissociable de la respiration qui structure les blancs du livre.
Quand Anne-Marie Albiach commente Aely, elle écrit : « le lieu est assigné dans le livre et le livre assigne la fiction – un mouvement permanent et de vitesse variable anime – à la fois extérieur et immédiat – dans un sens insécant – s’interfère le blanc celui de la respiration, blanc en tant que métaphore, – blanc de la marge ou du souffle, en tant que discours ».
Le « souffle en tant que discours » permet de rythmer les blancs du texte, les pages d’Anne-Marie Albiach sont ainsi scandées par les mouvements de son corps.
Loi(e), comme tous les textes d’Anawratha, est un texte « référentiel », ces textes, précise Anne-Marie Albiach dans l’entretien d’Action poétique, « ont été écrits à partir de l’intériorité d’autres œuvres comme celles d’Edmond Jabès… » Cette intériorité convoque le corps, le texte « référentiel » est incorporé par le souffle qui en scande la lecture.
Francis Cohen