Né au Maroc en 1937, philosophe, romancier, dramaturge, professeur émérite de l'Ecole Normale supérieure, Alain Badiou est un des penseurs marxistes les plus connus à l'échelle internationale. Se réclamant de Platon et de Marx, son œuvre philosophique la plus importante est Être et événement (1988), un traité à vocation ontologique, qui proclame quatre formes de la vérité : l'amour, l'art, la politique et la science. Du point de vue politique, Badiou s'est toujours référé au maoïsme et à la révolution culturelle ; il fut un des principaux dirigeants de l'Union des communistes de France marxiste-léniniste (1969-1985). Il prend en 1979 la défense des Khmers rouges, ce qu'il regrettera plus tard. Un de ses engagements les plus importants est la solidarité avec les travailleurs immigrés sans papiers.
Je n'ai eu l'occasion de rencontrer Alain Badiou que lors de table rondes épisodiques. J'ai peu d'affinités avec son œuvre théorique et ses conceptions politiques héritées du maoïsme, mais je respecte son engagement pour le communisme.
Le document suivant se trouve dans un dossier curieusement intitulé « Le marxisme comme volonté et comme représentation » (une formule empruntée à Schopenhauer !), qui porte les dates 1979-1981. Son titre, « Mathème du marxisme », emprunte un terme inventé par Jacques Lacan en 1971 pour désigner la formalisation algébrique des concepts de psychanalyse.
Dans ce « mathème marxiste » on trouve trois modèles : le premier, qui probablement correspond à sa propre pensée, et deux autres, attribués à Marx et Lénine. Le modèle contient surtout des initiales, qu'on peut deviner : LDC = Lutte de Classes, DDP = Dictature du Prolétariat, C= Communisme, P= Parti. Sous la DDP se trouve une référence à la Révolution culturelle. Le modèle attribué à Marx est l'objet d'une hésitation : une première version est effacée, au profit d'une deuxième, où le Communisme conduit au Parti.
Ce « mathème », ces « formules algébriques » illustrent un aspect singulier de la philosophie de Badiou : il croyait au fondement mathématique de l'ontologie, et ses ouvrages philosophiques contiennent un grand nombre de modèles et formules mathématiques. À ma connaissance il est le seul marxiste à utiliser cette méthode. J'avoue une certaine incompatibilité avec cette démarche, mais mon attitude résulte peut-être de ma faible connaissance des mathématiques. En tout cas je ne crois pas à la possibilité de quantifier en formules algébriques les principaux concepts de la philosophie en général, et du marxisme en particulier. Quant aux schémas et modèles, ils peuvent être utiles, mais conduisent souvent à des simplifications réductrices...
Michael Löwy