Ce dessin pour moi, c'est tout l’art Bagouetien, en tout cas la part qui m’aura le plus inspiré : cette immense maîtrise du trait qui s’autorise à griffonner, comme l’air de rien, en pensant à autre chose…
C’est le flux libre de la création, sans jugement et sans prétention, une denrée si rare aujourd’hui !
Un autoportrait, corps mouvant, insaisissable, dansant ou voilé, féminin ou masculin, dont l’unique forme reconnaissable est entièrement contenue dans le dessin plus affirmé d’un profil et d’un nez.
Ce nez de Dominique, assurément source de complexe, que l’on peut même retrouver dans une des partitions de So Schnell : celle où 12 soli s’organisent au travers d’un seul tracé, et qui se conclue en unisson, tarte à la crème chorégraphique que Dominique a toujours eu le bon goût d’utiliser parcimonieusement et de manière détournée.
Dans la danse « So Schnell », morceau central de la pièce, c’est sur le trajet de ce grand nez que tous les danseurs se retrouvent, au rythme d’un cortège joyeux et dérisoire. Rare moment de connivence dans une pièce dont nous ne sommes que les figurines, toutes occupées à inscrire les signes et citations d’une œuvre en train de disparaître.
Mais en face de ce personnage au profil reconnaissable, qui est ce monstre, cet ectoplasme, cette chimère avec qui il semble dialoguer ?
Depuis 30 ans maintenant que l’œuvre de Bagouet est transmise, enseignée dans les conservatoires, c’est ce monstre-là qui me manque, bien loin de l’image lisse contre laquelle Dominique aura tellement lutté.
Il apparaît dans F et Stein, dans Tant mieux, Tant Mieux !, dans Assaï, dans Jours Etranges ; ce monstre-là est celui qui aura été le moins vu et reconnu, c’est lui pourtant qui est la sève de toute son œuvre, et peut-être de toute œuvre.
Ce dessin « malgré soi » qui fait trace en reliant la main au trait, le geste à la pensée mais surtout à l’impensée, lui rend hommage.
Ce trait-là est pour moi le guide premier.
Olivia Grandville