Les contours du métier de danseur sont encore bien flous lorsqu'incidemment, sans le connaître préalablement, je suis amené à suivre l'entrainement de la compagnie de Dominique Bagouet, de passage à Aix-en-Provence durant l'été 1983. Souvenir d'être paru maladroit, de n'avoir pas compris ce que je traversais, d'être sorti pitoyable d'un moment dont pourtant Dominique d'une seule phrase balaie le malaise, en m'engageant auprès de lui pour sa production suivante : Grande Maison. Direction Montpellier.
Au fil de ce que je vis comme un essai probatoire, poreux, je m'applique à apprendre de chaque instant passé auprès de celles et ceux, grands professionnels, qui deviennent mes premiers collègues de danse.
Le chorégraphe prépare déjà la pièce suivante, Déserts d'amour, qui doit, dans mon souvenir, consacrer l'évolution du centre chorégraphique alors régional en national. Le projet ambitieux pour l'époque rassemble neuf danseurs et danseuses qu'accompagnent deux ensembles musicaux délivrant en alternance des œuvres du classique W.A. Mozart et du spectral Tristan Murail.
Début 1984, absent quelques semaines pour effectuer un séjour de coopération à l'étranger, Dominique nous invite, nous ses interprètes, à créer des formes brèves en solo et duo, qui lui seront présentées à son retour pour, peut-être, trouver une place dans le projet à venir. S'il ne retient quasiment rien de ces productions, les quelques secondes de mouvements sinueux, désarticulés et vifs que je propose, développées sous sa direction, introduiront tout de même le dernier tableau de la pièce. Derrière l'anecdote se cache ce mystère par lequel un chorégraphe voit dans un ou une interprète l'instrument adéquat de son intuition, et s'engage à lui tracer tel ou tel rôle, telle ou telle danse.
Cette collaboration me plonge dans un présent absolu, d'une intensité telle que l'ensemble de l'œuvre demeure gravé dans mon corps. Quotidiennement, je me régale de chaque idée, de chaque geste proposé, plonge dans les croquis savants à décrypter pour la première fois, découvre un espace sonore et musical inédit pour mes oreilles, apprends à être un bon partenaire, m'invente danseur professionnel...
La confiance et le choix de Dominique, alors, de m'associer déjà à l'une de ses danseuses muses, Catherine Legrand, pour créer le duo central de Déserts d'amour, sonne le signal, je ne l'ai compris que plus tard, de ma réelle éclosion artistique.
Michel Kelemenis