L'archive me déconcerte : cette table tarifaire de peintures a dû amuser Édouard pour qu'il prenne le temps d'en faire à son tour une copie. Ainsi, des professionnels (des artistes ?) vivent-ils de leur peinture en copiant des toiles de maîtres pour des particuliers prêts à décorer leur intérieur avec des chefs-d'œuvre officiels : au moins, on ne pourra pas dire qu'il s'agit de n'importe quoi, c'est-à-dire d'art contemporain. Un bon vieux Renoir fidèlement copié vaudra toujours mieux qu'une toile d'une jeune artiste contemporaine inconnue... Une seule façon de se défaire de cette loterie absurde de la postérité et de la célébrité est de la mettre au jour et au carré par un effet de miroir. Édouard a donc collé ce flyer publicitaire (assez sobre, puisqu'il se concentre sur l'essentiel : les dimensions, les prix) et l'a redessiné à la main, à l'identique. Il s'est ainsi fait le peintre d'un publicitaire, ou plus perversement, le reproducteur manuel d'un industriel de la peinture dont le travail consiste à reproduire le plus réalistement possible des chefs-d'œuvre du passé. Une solidarité secrète se dessine entre l'artiste Édouard Levé et les maîtres copiés par un mercenaire qui est peut-être lui-même un bon artiste cherchant à arrondir ses fins de mois.
Thomas Clerc