Depuis le 6 février 1953, date de l'apparition de la collection « Le Livre de Poche » en France, la plupart des éditeurs ont tenté de développer des collections concurrentes. « J'ai lu » chez Flammarion en 1958 et « Presses Pocket », aux Presses de la Cité en 1962, puis « Folio » chez Gallimard en 1972, enlèveront à la Librairie Générale française, filiale du groupe Hachette, une grande partie des œuvres de fiction susceptibles de passer en « poche » pour une seconde vie. À côté de ces séries populaires, d'autres collections, plus spécialisées, ont vu le jour au début des années 1960. « Idées », chez Gallimard », et « 10/18 », chez Plon, deux ans plus tard, ont marqué les esprits. Comme l'indique le procès-verbal du conseil d'administration de cette maison d'édition daté du 26 juin 1963, « 10/18 a conquis en quelques mois une place considérable en France et dans les pays de langue française par la qualité de ses programmes et de sa présentation ». Conçue à l'origine par Paul Chantrel, directeur général des éditions Plon, avec la collaboration de Michel-Claude Jalard, la collection « Le Monde en 10/18 », son véritable nom, sort en librairie en mai 1962 à un prix comparable à celui du « Livre de Poche », 1, 95 F pour les volumes simples, 3, 40 F pour les volumes doubles. Dès l'année suivante, les prix seront majorés, mais l'originalité de la nouvelle collection de poche se situe ailleurs. Les premiers titres parus, Le Discours de la méthode et Les Méditations de Descartes, La Pesanteur et la grâce de Simone Weil, Les Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski disent les ambitions de ses concepteurs : faire lire à un public le plus large possible, d'étudiants et de cadres, à la fois de grandes œuvres philosophiques et des textes littéraires empruntés aux meilleurs auteurs. Descartes et Dostoïevski étant depuis longtemps tombés dans le domaine public, aucun droit d'auteur ne limitera par ailleurs les marges d'une collection vendue à un prix très bas.
Ne pouvant faire basculer les romanciers de l'écurie Plon dans cette série parce que l'ancien directeur général, Charles Orengo, avait signé un accord avec la LGF, Georges Roditi, son nouveau directeur littéraire depuis juillet 1962, s'entend alors avec Jérôme Lindon pour faire des auteurs du « Nouveau Roman », aux éditions de Minuit, les phares de la collection « 10/18 ». Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet, La Modification de Michel Butor, Moderato Cantabile de Marguerite Duras sont annoncés en septembre. Le succès sera au rendez-vous, même si la série connaît un écoulement plus lent en 1966-1967. Reprise en 1968 par Christian Bourgois qui dirige désormais la maison Julliard intégrée au groupe Plon-Julliard-Société Nouvelle Sequana, elle deviendra la collection emblématique des années 1970, publiant à la fois Boris Vian, le romancier plébiscité par les lycéens français, Jack London, les penseurs communistes et tiers-mondistes et un mathématicien comme René Thom dont Christian Bourgois se vantera d'avoir vendu 10 000 exemplaires des Modèles mathématiques de la morphogenè ! En mélangeant des rééditions du XIXe siècle sélectionnés par Hubert Juin, des œuvres de science-fiction recommandées par Francis Lacassin, et des textes inédits révélateurs de l'esprit de « Mai 68 », Christian Bourgois avait confirmé les possibilités d'une collection de poche absolument originale dans le paysage français.
Jean-Yves Mollier