L’existence de ce petit carnet de quatorze pages dans les archives de Jean Genet à l’Imec tient du miracle. Il est l’un des très rares documents retrouvés de la période la plus obscure de la vie de l’auteur et dont il ne reste pratiquement aucune trace. Au moment où, en septembre 1939, Genet confectionne ce carnet, destiné à être facilement dissimulable en cas d’arrestation, il vient de sortir de prison mais va être à nouveau, moins d’un mois plus tard, appréhendé en flagrant délit de vol et incarcéré à la centrale de Fresnes. Il est alors totalement inconnu et au bord de l’abîme. C’est pourtant sur ce carnet qu’apparaît, entre deux bribes et cinq ans avant la publication clandestine de son premier roman, Notre-Dame des Fleurs, le nom de son personnage principal et la première version de l’une de ses plus célèbres phrases : « N. des Fl. entre ici par la porte du crime. C’est une porte dérobée qui donne… » Plus encore que le personnage, c’est Jean Genet qui fait ici son entrée dans la littérature sur la pointe des pieds et par la porte dérobée d’un minuscule carnet.
Abandonné à la naissance, Jean Genet (1910-1986) a connu une jeunesse marquée par le vagabondage, les fugues, la désertion, le vol et la prison. Incarcéré à Fresnes puis à la Santé, il écrit Le Condamné à mort et Notre-Dame des Fleurs, qui lui valent le soutien de Jean Cocteau. Grâce à lui, il échappe en 1943 à la condamnation à perpétuité. Genet écrit alors coup sur coup Miracle de la rose, Pompes funèbres, Querelle de Brest et Journal du voleur, ainsi qu’une œuvre de théâtre mise en scène par les plus grands. Après un silence de vingt-cinq ans, son dernier livre, Un captif amoureux, paraît un mois après sa mort.