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Olivier Cadiot

Olivier Cadiot

Micmac

Comment ça commence ? Déjà, prendre conscience qu’il n’y a pas un ça… qui commencerait. Au début, sur de très nombreuses pages, il y a un centre vide. Il manque le texte ou il y en a si peu — et tout autour, en marge, on observe une myriade de phrases plus ou moins inutiles. Pas de urtext ou de graines qui pourraient se déployer en arbre. Sur de grandes feuilles blanches, on trouve de nombreuses phrases, autour de ce rectangle vide qui attend patiemment d’être rempli. On y lit souvent des injonctions, des choses ressenties et vues, certaines reliées entre elles, comme autant de promesses d’un texte futur. Ces notes marginales entourent comme dans un écrin vide l’absence du livre. Dans ces marges on trouve des ordres, comme le discours d’un entraîneur avant un combat ; des idées à développer ou des embryons de roman ; on trouve des ne pas oublier que ou des portes de sortie, sorte de dérives immédiates (comme s’il fallait littéralement s’enfuir au plus vite du texte-prison) ; toutes solutions possibles le plus souvent abandonnées — comme si elles ressemblaient à des fleurs sans tiges.

Mais aucune angoisse, il arrivera un moment ou, comme en négatif ou en positif, le texte apparaîtra sur la page. Et ça commence mal. Tout ou presque est inadéquat. La voix du narrateur est imprésentable. Quel lecteur voudrait le rencontrer ? Il va falloir lui régler sa tessiture, ses manières, son style, sa fantaisie, etc. pour le garder comme un vrai commencement gravé dans le marbre. Ça sort du bois et ça se présente à nous — on verra s’il reste longtemps héros de l’incipit. Quelquefois ça marche, par exemple lorsqu’un passage ou un chapitre fait à l’avance office de fin ; quelquefois il se maintient dans cette position jusqu’au bout. On doit à ce premier jet une sérieuse reconnaissance.

Dans une revue des années 90 j’avais recopié les petits mots en marge sur le manuscrit de Flaubert qui venait d’être retranscrit et édité. Des indications si simples qu’ils ressemblent à des haïkus involontaires. On voit très bien que certaines de ces petites notes contiennent toute l’énergie qui se déploie dans le texte en face, comme s’il s’agissait de décompresser des poèmes… en prose. L’écriture développe simplement les incidents en marge — c’est le coup des fleurs séchées plongées dans l’eau. Ça explose non pas sur la surface même de la page, comme avec la poésie, ça s’infuse dans ce noir flottant qu’est la prose, pour lui donner sans doute paradoxalement un peu de rigueur. Comme l’expliquait si bien un philosophe, il s’agit de soustraire pour obtenir de la multiplicité, n-1… ça donne des conseils de conduite. Même si c’est difficile de savoir à chaque fois comment produire élégamment une nouvelle chose.

Bref, grâce à tout ce micmac, on commence à esquisser ici un objet non pas seulement un sujet à traiter : quelque chose qui ressemble à quelque chose. Brusquement s’impose un mystérieux artefact produit par une série de manipulations techniques maladroites ou de protocoles (pour échapper au doute). Cet objet prend d’un coup du relief et suffisamment d’espace pour diffuser le son de la scène — comme un coup de théâtre sur un texte plat. Ça forme un corpus, un visage, un corps à présenter au lecteur. On peut ne pas l’aimer.

Il faudra réfléchir aussi au sujet. Dans le cas, où il s’agit de répondre à une commande de texte. Love supreme pour Christoph Marthaler, c’est plus que jamais le vide du commencement ; il ne reste plus qu’à tourner comme les Indiens autour d’un centre vide. Le seul sujet possible est celui qui poursuit et modifie la forme du livre précédent. Le vrai sujet se trouve en formulant de nouveau. En faisant le contraire de d’habitude en commençant à écrire, pour contredire ce qui vient d’être dit, en direct et au fil de la plume en développant des propositions en marge en mini nouvelles ou poèmes en prose.

La deuxième chose qui me relie à Flaubert, c’est la pratique de la liste et de l’encyclopédie ratée. J’ai fait un livre bâti sur ce système et repris un personnage connu de tous, ingénieur permanent isolé sur une île et qui ne commence à revivre qu’en ouvrant des caisses retrouvées au bord de la plage après un naufrage. Hypertexte pour héros hyperactif.

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Olivier Cadiot (né en 1956)

Sans cesse en mouvement, l’œuvre d’Olivier Cadiot invente à travers la multiplicité de ses formes (poésie, roman, essai, théâtre) une tonalité unique, reconnaissable par sa drôlerie, sa vivacité et sa puissance d’émerveillement. Nourrie par les avant-gardes littéraires du XXe siècle (Olivier Cadiot a traduit Gertrude Stein), son écriture conjugue recherche formelle et souci de simplicité, à travers notamment l’élaboration d’un style oral concis, rapide, toujours en avance.

Depuis Futur, ancien, fugitif (P.O.L, 1993) et jusqu’à Médecine générale, paru en 2021, la figure du solitaire hante les fictions d’Olivier Cadiot : Robinson, mage, exilé volontaire dans un coin perdu, le narrateur est toujours à distance du monde et de lui-même. Une distance critique que l’on retrouve dans les deux volumes d’Histoire de la littérature récente, où, vingt ans après la désormais mythique Revue de littérature générale fondée avec Pierre Alféri (1995-1996), l’auteur interroge avec acuité et humour le passé, le présent et l’avenir de la littérature.

Depuis plus de vingt ans, Olivier Cadiot travaille régulièrement à l’adaptation théâtrale de ses textes avec le metteur en scène Ludovic Lagarde et le comédien Laurent Poitrenaux. Il a par ailleurs participé à trois albums du musicien et chanteur Rodolphe Burger.