Dans la première lettre, le membre éminent de l'École de Francfort écrit avoir été impressionné par la lecture de la partie introductive de la thèse de M. Abensour alors en cours de rédaction. Il considère que M. Abensour déploie une nouvelle approche — grandement nécessaire — des éléments « utopiques » présents dans la théorie marxienne et de l'obsolescence du contraste entre socialisme scientifique et socialisme utopique. H. Marcuse se dit impatient de voir de quelle manière une redéfinition du socialisme résultera du travail engagé par M. Abensour. Toutefois, il critique la place importante accordée à Antonio Labriola ; notons que la partie introductive de la thèse ne donne qu'une idée très succincte des développements à venir et de la tonalité générale de l'ouvrage.
Dans les premières pages de la thèse, les références à Marcuse sont nombreuses, quelques exemples : « Aussi H. Marcuse pose-t-il la possibilité d'une civilisation non-répressive qui se décompose en une expérience de l'existence, des relations entre l'homme et la nature et des relations sociales radicalement différentes. » Ou encore : « Selon H. Marcuse, l'utopie est une production de l'imaginaire, à savoir, dans une perspective freudienne, de l'activité mentale qui, lors de l'introduction du principe de réalité, se trouva laissée à l'écart et qui demeura subordonnée au seul principe de plaisir. » Et : « L'utopie, volonté de bonheur, au sens de W. Benjamin et de Herbert Marcuse. »
M. Abensour continuera à lire H. Marcuse, mais peut-être moins intensément. Dans son article de 2002 « Pour une philosophie politique critique ? », il se réfère à l'auteur de Raison et Révolution et de Culture et Société. À la lecture de l'un et de l'autre, ne perçoit-on pas un commun souci de l'émancipation contre la domination et une position de « grand refus » face à un présent mutilé ?
La deuxième lettre a un objet tout autre. Travaillant sur le projet de la collection « Critique de la politique », lequel se réfère notamment aux travaux de l'École de Francfort, M. Abensour est préoccupé de ne pas avoir de réponse à la demande de droits de traduction et de publication du livre de Franz Neumann (Béhémoth : structure et pratique du national-socialisme) qu'il souhaite publier rapidement. Il mentionne également un projet autour de Jeremy Shapiro -- proche de membres de l'École de Francfort et traducteur de l'allemand vers l'anglais de textes de Marcuse, de Habermas — et un recueil de textes relevant de la sociologie « radicale » américaine qui serait encadré par des textes de Marcuse, Horkheimer, Adorno. Ces deux derniers projets n'aboutiront pas et le livre de F. Neumann sera publié dans les années 1980 dans la collection dirigée par M. Abensour.
Dans sa réponse très rapide, H. Marcuse fournit un contact pour l'acquisition des droits de traduction de Béhémoth. II considère que ses articles, cités par M. Abensour pour figurer dans le projet de recueil, ne conviennent pas. Ils sont anciens et ses récentes publications développent et précisent les thématiques plus anciennes sur lesquelles il a travaillé. Sont cités : Essays on Liberation (1969, publié aux Éd. de Minuit la même année sous le titre Vers la libération) et Contre-révolution et Révolte (1972, publié au Seuil en 1973).
M. Abensour n'a publié aucun texte de Marcuse.
Anne Kupiec