Cette archive est émouvante à plus d’un titre. Tout d'abord elle indique qu’Edgar – à l’époque un jeune homme – est d'une nature facétieuse et aujourd’hui qu’il a cent ans il le demeure ! Joyeux luron devant l’éternel donc et c'est sans doute un secret de sa longévité. L'humour comme arme pour affronter toutes les situations y compris les plus difficiles. L'humour vis à vis du monde, la distance avec soi, l’absence de narcissisme, le rejet de l’importance de sa propre personne au profit d’un décentrement de son moi vers la recherche, qu’elle soit amoureuse ou scientifique.
Cette archive dit aussi la proximité entre Duras et Morin, leur appartenance au groupe qu’on a nommé le groupe de la rue Saint Benoit, adresse de l’appartemment ou vivait Marguerite avec Robert Antelme d’abord, adresse où des résistants pouvaient trouver refuge pendant la guerre et où des armes pouvaient être cachées. Adresse qui continua après la guerre à être un territoire de combats philosophiques et politiques où les copains se réunissaient pour faire la fête, danser – oui Marguerite dansait bien mais Edgar encore mieux – et où, jusqu’au bout de la nuit on refaisait le monde. Là furent inventées des prémices de la phénoménologie – Merleau Ponty était un fervent compañero de la rue Saint Benoît, là eurent lieu des joutes oratoires sur le communisme, le barbarisme, le difficile réenchantement du monde après la libération, période qu’on a tendance à ne croire qu’heureuse alors qu’elle fut pour nombre d'intellectuels engagés dans la résistance tourmentée, déchirante d’espoirs avortés d'un monde plus démocratique.
Cette archive dit aussi la fluidité du groupe, la circulation intense de ses membres, la généreuse mise a disposition du lieu par Marguerite de toutes celles et ceux qui y passent, s’installent, repartent. En ces temps de post-confinement où nous avons été assignés chacun chez soi à une intimité obligatoire, à une solitude non désirée, elle apparaît comme un signe de liberté et même de joie !
Laure Adler