À partir de 1975, avec la publication d' Écologie et politique, André Gorz va devenir un des principaux penseurs d'une écologie politique anticapitaliste et antiproductiviste, qui s'inspire de Marx mais rompt avec un certain marxisme qui privilégie le « développement des forces productives ». Son livre Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme (1980), contestation virulente du prométhéïsme marxiste et du culte du prolétariat — à la place duquel il propose la « non-classe des prolétaires post-industriels » — va susciter beaucoup de critiques (légitimes !) à gauche. Il s'éloigne aussi bien du Nouvel Observateur que des Temps Modernes, et commence à écrire pour des publications écologistes comme Entropia ou Ecorev. Toujours adversaire intransigeant du capitalisme, qu'il considère incompatible avec les exigences écologiques, il plaide pour la décroissance et une « simplicité volontaire ». Au cours de ses dernières années, il s'intéresse de près à l'école marxiste - hétérodoxe - allemande de la « critique de la valeur » (Robert Kurz, Anselm Jappe).
En tout cas, il est évident que l'appropriation du marxisme par Gorz est sélective. Si l'on peut parler d'un « marxisme écologique » de Gorz — ou, si l'on préfère, d'un attachement à la pensée de Marx et de certains marxistes hétérodoxes, de Marcuse et Jean-Marie Vincent à Robert Kurz — c'est surtout à propos de deux questions — il est vrai, essentielles — au cœur de son engagement écologique, ou, pour reprendre le terme utilisé par Françoise Gollain, écosocialiste : l'anticapitalisme et l'alternative communiste comme civilisation du temps libre.
Voici ce qu'il écrit dans Ecologica (2008), livre posthume, composé de textes choisis par son auteur.
« Il est impossible d'éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis cent cinquante ans. […] La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d'autres rapports sociaux. »
Ces « Notes préparatoires » concernent l'écologie, mais il est difficile de situer leur date et objet précis. Il est question de l'énergie solaire et de techniques légères, de critique du productivisme, et de la possibilité de « consommer de manière collective », avec un point d'interrogation. Une phrase suggère un « retour à l'artisanat, au passé », idée très présente dans le roman « éco-utopique » de William Morris, Nouvelles de nulle part, mais il est difficile de savoir si Gorz partageait cette orientation. Les préoccupations stratégiques ne sont pas absentes, et il est question d'un « processus par affrontements en escalade ». De l'autre côté de la page apparaît le titre « Temps libre », et dans un cadre avec les lettres « TV », en face duquel Gorz écrit « Centre de cristallisation et initiatives autonomes » : s'agit-il d'une alternative à la télévision ?
Au beau milieu de la page, un dessin curieux, qui peut signifier un réseau d'initiatives collectives, ou simplement une certaine distraction et un désir de défoulement artistique.
Michael Löwy