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Toni Negri
Lettre à Felix Guattari

Lettre à Felix Guattari

Toni Negri (1933-2023) est sans doute l'un des philosophes marxistes les plus connus au monde. Spécialiste reconnu de l’œuvre de Spinoza, il a été parmi les fondateurs du mouvement opéraiste en Italie. Il a enseigné la philosophie politique et la science politique à l’université de Padoue. Incarcéré en Italie de 1979 à 1983 en raison de son engagement politique, exilé en France de 1983 à 1997, il revient en Italie en Juillet 1997 pour purger le reliquat de sa peine et essayer d’obtenir une amnistie pour tous les prisonniers politiques. Il ne retrouvera la liberté qu'après six années. Sans cesser de se réclamer du communisme, Negri publie, à partir de 2000, plusieurs ouvrages avec son ami Michael Hardt: Empire, Multitude, Commonwealth, et Assembly, qui auront un énorme succès. Depuis quelques années il vivait entre la France et l'Italie.

J’ai fait la connaissance de Toni Negri dans les années 1980, au cours de son exil en France, à l’époque ou il enseignait, comme Eleni Varikas, ma compagne, à l’université de Paris 8. Nous avons fondé, avec Jean-Marie Vincent, la revue Futur Antérieur. À sa demande, j’avais organisé un pétition d’intellectuels français en soutien à sa démarche pour une amnistie politique, lors de son "retour" en Italie en 1997. Nous l’avons visité en Italie, lors qu’il était encore en résidence surveillée. Après son dernier retour en France, nous nous voyions souvent ; son œuvre que je préférais étaient ses trois volumes autobiographiques, que j’ai recensé.

Nos choix philosophiques et politiques, voire notre interprétation de Marx, étaient aux antipodes l’un de l’autre, mais notre amitié n’a jamais été perturbée par ces différences : nous partagions l’horizon communiste et l’internationalisme. Mon seul reproche, lors de ces rencontres, était l’absence de référence à l’écologie dans ses écrits – contrairement à son ami Félix Guattari, porteur d’un écosophie… Il manque dans son œuvre aussi bien une prise en compte de la menace de catastrophe climatique, qu’une analyse de la responsabilité systemique du capitalisme dans cette crise. Toni était d’accord pour reconnaître cette lacune, mais avouait avoir des difficultés pour s'approprier la question écologique…

Cette lettre de juin 1978 adressée à Félix Guattari, qui partageait son engagement révolutionnaire, qu’il avait rencontré à Paris lors de ses cours à l’École Normale Supérieure, témoigne d’un trait typique de son caractère : l’optimisme à toute épreuve. A cette époque Negri faisait partie d'un mouvement italien d’extrême gauche , Autonomia Operaia, qui avait rencontré un grand succès dans les usines, dans les universités et dans le prolétariat urbain. Selon Negri, dans la lettre à son ami, « la situation est bonne », les forces de la gauche extra-parlementaire ont la sympathie de 25% de la population, le processus d’organisation des révolutionnaires avance, « je suis content et sûr (…) d’avoir un bon résultat ». Hélas, quelques mois plus tard, suite à l'enlèvement puis l’assassinat du Président de la Démocratie Chrétienne, Aldo Moro, par les Brigades Rouges en 1978, la répression tombe sur toute la gauche radicale, qui se trouve desarticulée ; Toni Negri sera incarceré en avril 1979, sous l’accusation totalement infondée d’être le cerveau de l'opération, en même temps que des dizaines d'autres militants de son mouvement.

Michael Löwy