Cornelius Castoriadis, né en 1922 et décédé à Paris en 1997, est un penseur peu commun, dont l'œuvre n'a pas cessé d'interroger la politique et la société. Devenu trotskyste en Grèce, en 1943, il va quitter son pays en 1945 à bord du célèbre bateau Mataroa, dans un groupe de boursiers du gouvernement français où se trouvent, entre autres, Kostas Axelos et Kostas Papaïoannou. En 1948 il va rompre avec le mouvement trotskyste pour créer, avec Claude Lefort et d'autres camarades, le groupe indépendant Socialisme ou barbarie, proche plutôt du communisme de conseils. Une revue du même nom est créée, dont le premier numéro paraît en mars 1949.
Devenu économiste à l'OCDE, psychanalyste et directeur d'études à l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Castoriadis va s'éloigner du marxisme, notamment par la publication de son livre L'institution imaginaire de la société (Seuil, 1975), qui propose le concept d'autonomie comme projet d'une nouvelle société.
J'avais, depuis ma jeunesse au Brésil, une grande admiration pour la revue Socialisme ou Barbarie. C'était, à mes yeux, l'exemple parfait d'une démarche révolutionnaire socialiste qui ne faisait pas de concessions à la bureaucratie soviétique. J'ai encore aujourd'hui plus d'affinité avec ce « premier Castoriadis », marxiste hétérodoxe et anti-autoritaire, qu'avec le philosophe et théoricien politique postérieur, hostile au marxisme, même si je reconnais l'intérêt de certains des arguments de L'Institution imaginaire.
En tout cas, Castoriadis n'a jamais cessé de se considérer comme un révolutionnaire, comme en témoigne le texte ci-dessous, qui documente son intérêt croissant pour l'écologie.
« La force révolutionnaire de l'écologie » est un entretien paru dans un dossier, « La planète verte — L'écologie en question », dans la revue publiée par le Bureau des élèves de l'Institut d'études politiques de Paris ; propos recueillis par Pascale Égré les 16 et 29 novembre 1992. Il sera repris dans le volume La Société à la dérive (Le Seuil, 2005, pp. 241-250).
La réponse à la première question « Qu'est-ce l'écologie pour vous ? » semble barré. Si l'on compare avec le texte publié, on trouve quelques différences, mais l'argument essentiel est préservé : l'écologie doit être au cœur de toute préoccupation politique. En bas de la page apparaît le nom de Rachel Carson, précurseure nord-américaine de l'écologie radicale, dont il va citer, dans la suite de l'entretien, le livre pionnier de 1962, Silent Spring (Le Printemps silencieux), comme une des premières critiques des « ravages capitalistes sur l'environnement ». On peut se demander pourquoi ce paragraphe apparaît barré, quand il n\'a été que partiellement ré-écrit. En tout cas, cet entretien illustre une dimension moins connue de Cornelius Castoriadis, son engagement écologique révolutionnaire.
Michael Löwy