Kostas Papaïoannou (1925-1981) est un philosophe d'origine grecque, connu pour ses travaux sur Marx et pour son engagement anti-stalinien. Jeune socialiste, il participe à la résistance en Grèce, mais en 1945, pour échapper à la répression du pouvoir monarchique, il part vers la France dans le célèbre bateau Mataroa, en compagnie de Kostas Axelos et Cornelius Castoriadis. Chargé de cours à l'École Pratique des Hautes Etudes, il est connu pour ses travaux de vulgarisation intelligente comme Marx et les marxistes (1965), et pour ses œuvres polémiques anti-totalitaires, comme L'idéologie froide : essai sur le dépérissement du marxisme (1967), ou De Marx au marxisme (1983), préfacé par Raymond Aron. Mais il écrivit aussi des travaux purement philosophiques, comme un essai sur Hegel (1962), le recueil La Consécration de l'histoire (1983), et l'essai La masse et l'histoire (2003), traduit du grec et prefacé par Benaki Matsas en 2021.
Je me rappelle avoir suivi des cours de Kostas Papaïoannou à l'École Pratique des Hautes Etudes, dans les années 1960 ; c'étaient des cours sur Marx, qui m'intéressaient beaucoup puisque c'était mon sujet de thèse. Je n'ai pas de souvenirs précis de ces cours : mais je me rappelle d'une certaine ambivalence du penseur envers Karl Marx lui-même, ainsi que, bien entendu, un refus du « marxisme » stalinien.
Cette ambivalence se retrouve dans la réception de ses écrits. D'une part, Maximilien Rubel a reproché à Papaïoannou son engagement dans la guerre froide, aux côtés de son ami Raymond Aron. Mais d'autre part, Guy Debord avait manifesté de l'intérêt pour ses œuvres, dont certaines furent re-édités par des éditeurs proches du situationnisme comme Champ Libre et l'Encyclopédie des nuisances.
Le passage ci-dessous, extrait d'un manuscrit intitulé « Les fondements du marxisme », est un bel exemple de cette ambivalence. D'une part, Papaïoannou présente le « matérialisme » (guillemets ironiques de l'auteur) de Marx comme « une pure méta-physique (...) plus proche des eschatologies mystiques que de n'importe quelle philosophie scientifique (matérialiste ou idéaliste, peu importe) de la matière ». Cette analyse tranchante, qui semble nier toute valeur scientifique à Marx et, a fortiori, au marxisme, est curieusement relativisée par une note en bas de page qui affirme au sujet des doctrines staliniennes : « Mais le culte du "Diamat" et l'usage inquisitorial qu'on en a fait représente un phénomène sociologique qui requiert une analyse marxiste ». Bien entendu, il faudrait une lecture attentive de l'ensemble du texte pour rendre compte de la position complexe de Kostas Papaïoannou envers « les fondements du marxisme ».
Michael Löwy