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Lucien Goldmann
Le monde vu par Karl Marx

Le monde vu par Karl Marx

Lucien Goldmann (1913-1970) né en Roumanie, a milité dans la jeunesse communiste à Bucarest, mais fut exclu comme « trotskyste ». Après un bref séjour à Vienne, où il suit les cours de Max Adler, il arrive en 1934 à Paris. Réfugié en Suisse en 1942, il y devient l'assistant de Jean Piaget et participe à ses recherches d'épistémologie génétique. De retour — en 1945 — à Paris, il entre au C.N.R.S, mais devient plus tard directeur d'études à l'École pratique des hautes études (1959-1970). Son œuvre, d'une très grande créativité, relève d'une sociologie de la culture marxiste hétérodoxe, fortement influencée par les écrits de jeunesse de Georg Lukács. Après une thèse sur la communauté humaine chez Kant (1948), il publie un petit livre étonnant, Sciences humaines et philosophie (1952), et un grand ouvrage sur Racine et Pascal, Le Dieu caché (1956), qui le rendra célèbre. Partisan d'un socialisme autogestionnaire, il prend part activement aux événements de Mai 68. Au cours des années 1960, il va s'intéresser surtout à la sociologie du roman.

J'ai découvert Lucien Goldmann quand j'étais étudiant en sciences sociales à l'université de Sâo Paulo au Brésil. J'ai lu, vers 1958, Sciences humaines et philosophie. Ce petit livre fut une découverte décisive pour mon parcours intellectuel et personnel. Aujourd'hui j'en perçois les limites : le rejet sans appel de Karl Mannheim, la sous-estimation de Max Weber... on pourrait multiplier les exemples. Ce fut cependant une belle et inoubliable leçon d'imagination sociologique. Je suis devenu un marxiste « goldmannien » et je suis parti en 1961 pour Paris, afin de faire, sous sa direction, une thèse sur le jeune Marx, que j'ai soutenue en 1964. Nous sommes devenus amis et nous adhérions au même parti, le PSU, mais dans des tendances différentes... Je lui disais, avec une pointe d'ironie, que j'étais un « néo-goldmannien de gauche ». Il faut dire que Lucien Goldmann n'était pas d'accord avec ma thèse : à son avis la pensée de Marx était moins l'expression des luttes du prolétariat de son époque, comme je le prétendais, mais de l'aile gauche de la bourgeoisie démocratique. Malgré ces divergences, je ne continue pas moins, un siècle plus tard, à considérer la sociologie de la culture de Goldmann comme une source d'inspiration inépuisable.

La page qui suit est extraite d'une entrée sur « Le monde vu par Karl Marx » probablement pour un volume italien publié aux éditions Bompiani. Je n'ai pas pu trouver la date ni le titre précis du livre. Ce qui me surprend dans ce texte c'est qu'il reprend, presque mot pour mot, l'hypothèse que j'avais défendue en 1964 et qu'il avait contesté : la pensée de Marx est « née de l'insertion d'une force historique réelle et empiriquement constatable, la classe ouvrière, dans la philosophie dialectique de l'histoire », une force dont l'expression principale était, à cette époque, « le mouvement des artisans parisiens et du chartisme anglais ». Cette convergence, que je découvre maintenant, est-elle le produit d'une lecture ou relecture de ma thèse ? Je n'en sais rien. En tout cas elle me réjouit beaucoup...

Michael Löwy