Ce document de Lucien Goldmann est la première page d'un bref article de 7 pages manuscrites, intitulé « L'apport du marxisme à la sociologie de la littérature », une question qui va l'occuper tout au long de son itinéraire intellectuel. À ma connaissance, ce texte n'a jamais été publié. Il date probablement de la deuxième moitié des années 1950, puisqu'il cite, dans la deuxième page, des travaux d'Henri Lefebvre, publiés en 1955.
Cette page est révélatrice du rapport du marxiste hétérodoxe Goldmann à Marx et Engels : leurs « jugements occasionnels sur telle ou telle œuvre littéraire », dans La Sainte Famille, ou dans la correspondance avec Lassalle, ne peuvent être considérés comme plus qu'un « point de départ pour la réflexion ». C'est la méthode et l'esprit de la pensée de Marx qui comptent pour lui, plutôt que la lettre de ses écrits sur la littérature. Comme il l'affirme dans le deuxième paragraphe, ce qui est important c'est « l'apport du marxisme à la méthodologie de la critique littéraire ».
Dans le dernier paragraphe de cette page, il rend hommage aux pionniers de la critique littéraire marxiste, Georges Plekhanov et Franz Mehring. Mais dans la page suivante c'est clairement l'œuvre de Georg Lukács qui est présentée comme « le moment décisif de l'esthétique marxiste ». Il s'agit, pour Goldmann, essentiellement des écrits de Lukács jusqu'en 1924 : ceux de « son époque 'stalinienne' » sont « un mélange inextricable et souvent pénible, de remarques pertinentes et de lieux communs de l'idéologie 'officielle' ». Un commentaire qui, au-delà du cas Lukacs, documente le peu d'affinité de Goldmann avec la version stalinienne du marxisme.
Le concept qui définit pour Goldmann la méthode marxiste est, dans ce texte, celui de « structuralisme dynamique » : c'est une façon de se distinguer des formes « statiques » du structuralisme. Il utilisera plus tard celui de « structuralisme génétique », qui me semble moins dialectique : la « genèse » n'inclut pas l'avenir…
Michael Löwy