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Si vite

Si vite

J'ai choisi le document "Machine un"

C'est le début de la "Danse à 6" de So Schnell qui vient juste après le duo de Catherine Legrand et Olivia Grandville.

C'est mon entrée dans So Schnell.

Je me revois regarder le duo depuis la coulisse.

Je sais précisément à quel moment je dois me préparer pour mon entrée en scène.

Je fais monter l'énergie et l'adrénaline, saute d'un pied sur l'autre tel un boxeur qui va monter sur le ring.

Ça y est, on y va.

Nous nous plaçons dans le noir comme l'indique le schéma, sur une ligne à l'avant-scène, de dos, à l'exception d'une danseuse qui elle se place de face au lointain cour.

La musique arrive...

Elle monte progressivement. Myriam commence à marcher. Ça y est, c'est le repère.

Nous démarrons les "skis", slalomant en plantant nos bâtons imaginaires comme dans une course, en remontant vers le fond de scène puis nous courons vers l'avant- scène avant de sauter les jambes regroupées dans un saut "Yaouh" comme le désigne Dominique qui signifie joyeux.

On y met toute notre énergie.

Nous partons ensuite dans une diagonale, poussant sur nos jambes, lâchant les bras vers le haut en les laissant se relâcher de manière élastique par les coudes.

On appelle ça  les " Schplink".

Nous nous arrêterons de dos, en fond de scène, en laissant mourir ce mouvement.

J'aime ce moment d'accalmie, cette tension sous-jacente avant de nous élancer dans une série de solo et duo au centre et autour d'un rectangle au milieu du plateau.

Cette danse va continuer vive, lâchée puis retenue, comme un cheval fougueux à qui l'on tient de temps en temps la bride.

C'est une danse où je peux laisser exploser ma colère.

Dominique n'aura pas pu assister à cette deuxième version de So Schnell...

Pour ma part j'ai un statut particulier.

Je viens d'arriver dans la compagnie. Je suis danseuse mais j'ai aussi été élevée par Dominique Bagouet et ma mère, Christine Le Moigne, qui fut sa compagne et sa scénographe sur plusieurs de ses pièces ainsi que sa complice de toujours.

Ensemble nous avons vécu l'aventure de la danse depuis les  débuts de Dominique alors danseur chez Béjart. C'est ainsi, en le voyant danser sur scène qu'à l'âge de 4 ans naît ma vocation.

Dominique ensuite chorégraphe me parle souvent de ses pièces en cours de création lorsque nous habitions à Montpellier. J'assisterai à beaucoup de répétitions et à toutes les représentations de ses créations souvent même plusieurs fois. Cela nourrit mon désir.

Un jour alors que je danse Vaste Ciel du chorégraphe Michel Kelemenis, Dominique vient me féliciter après le spectacle et me dit que je suis "prête" pour danser dans sa compagnie.

C'est pour moi le rêve de toute ma vie, une consécration.

J'arrive dans la compagnie et Dominique est malade.

Il n'assistera qu'à très peu de répétitions de So Schnell.

Anne Abeille son assistante lui envoie les vidéos des répétitions.

Dominique m'appelle pour me dire combien il apprécie mon travail. C'est la reconnaissance que j'attendais mais c'est une maigre consolation au regard de tout ce que nous ne vivrons pas ensemble…

Dominique décède le 9 décembre 1992.

Nous continuerons la tournée qui s'achèvera dans la cour d'honneur du Palais des papes à Avignon.

Je vis à la fois mes plus grands moments de bonheur et une très grande tragédie.

Priscilla Danton