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Un pouvoir non coercitif

Un pouvoir non coercitif

Cette lettre s'inscrit, comme l'une des précédentes adressées à M. Horkheimer, dans le projet d'un recueil de textes de critique de la politique, « au sens où l'entendait Marx en 1843-1844 ». Le titre annoncé par M. Abensour, « Éléments pour une critique de la science politique américaine », indique clairement qu'il s'agit de s'opposer aux études alors contemporaines par une critique de la domination s'appuyant sur les analyses de l'École de Francfort. L'on pourrait être surpris que M. Abensour s'adresse à un ethnologue, mais toujours attentif à des pensées qui ne relèvent pas du courant dominant du moment, il précise, dans cette lettre, qu'il a lu l'article de P. Clastres « Copernic et les sauvages » paru à la fin de l'année 1969 et repris dans La Société contre l'État (1974). Ce texte, qui a soulevé de nombreux débats, fait apparaître un chef lequel n'exerce aucune domination faute de disposer d'un quelconque pouvoir. L'on comprend que l'intérêt de M. Abensour ait été éveillé.

Le projet de recueil n'a pas vu le jour, mais P. Clastres est présent, avec d'autres auteurs, dans l'édition du Discours de la servitude volontaire de La Boétie publié par M. Abensour dans la collection « Critique de la politique » en 1976.

Le décès accidentel de P. Clastres en 1977 n'a pas permis que d'autres projets partagés aboutissent excepté sa participation au comité de rédaction de la revue Libre qui a commencé à paraître cette année-là.

Toutefois, dans un ouvrage que dirige M. Abensour (L'Esprit des lois sauvages. Pierre Clastres ou une nouvelle anthropologie du politique, Seuil, 1987), celui-ci rappelle que P. Clastres « affirme l'universalité du politique -- il n'est pas de société humaine sans institution politique du social, sans rapport à la loi -- et dénie au politique occidental l'universalité de sa forme ». Ce « bouleversement conceptuel », cette « conversion héliocentrique » conduisent M. Abensour à organiser un colloque autour de P. Clastres dont les actes ont été publiés (Pierre Clastres, Sens&Tonka, 2011). Enfin, il écrit un avant-propos à un entretien donné par P. Clastres à L'Anti-mythes en 1974 et republié en 2012. Ces rappels démontrent combien la pensée et les thématiques de l'auteur de la Chronique des Indiens guayaki ont accompagné M. Abensour au long de son itinéraire afin de cerner le « malencontre » et de s'opposer au modèle hobbesien.

Anne Kupiec