Ces documents sont des ébauches de la présentation de la collection.
Le premier est une note manuscrite qui affirme que tout moment révolutionnaire, y compris celui de 1968, est suivi d'un renforcement des « structures de domination » soit une « science politique » diffusée grâce à de « nouvelles collections » et à de « nouveaux enseignements ». Une réponse s'impose : « la nécessité d'un retour à la critique de la politique », retour auquel la collection contribuera notamment par le « recueil de critiques qui ont été faites en pratique » durant les moments qui ont « tenté de détruire la domination politique » à ne pas confondre avec l'exploitation : Révolution anglaise, 1789, 1848 et 1871.
Notons la mention, dans ce document, du nom de Braesch. Prénommé Frédéric, cet auteur a publié en 1941, 1789 l'année cruciale. Cet ouvrage, présent dans la bibliothèque de M. Abensour, constitue le contre-modèle de ce qu'il envisage pour la collection.
Le deuxième document, dactylographié, est antérieur à la publication du premier livre de la collection. Marx, ses premiers écrits, ainsi que l'École de Francfort sont mentionnés. Ces références sont audacieuses à une époque fortement marquée par un marxisme confondu avec Le Capital.
Suivent les titres à paraître. La mention du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, texte qui hante quiconque s'intéresse au politique, permet, en quelque sorte, d'aller plus loin encore que la critique de la domination et d'ouvrir « une percée nouvelle ». Finalement, si l'on suit les corrections manuscrites, ce ne sera pas ce livre qui sera le premier à paraître, mais celui d'un membre de l'École de Francfort dont on constate la présence répétée : Horkheimer, suivi de Habermas, Adorno et Neumann. Maximilien Rubel est annoncé avec Marx critique du marxisme.
L'ordre de parution envisagé a cédé aux aléas dus aux questions d'édition. Le grand livre d'Edward P. Thompson sera finalement publié chez Gallimard, beaucoup plus tard, avec une présentation de M. Abensour, quant au projet de livre d'Alain Ajax, il n'a pas vu le jour.
Le troisième document est daté de décembre 1973. Il constitue la première version du « manifeste » de la collection inséré dans chacun des livres jusqu'au milieu des années 1980.
Dans ce texte apparaissent des notations nouvelles. D'abord, le choix affirmé d'écrire sur le politique du « côté des dominés » avant que ne soient mentionnées les « trois directions » de la collection :
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les formes nouvelles de la domination ; est ajouté, à la main, « le règne universel de la bureaucratie ». Pour ce faire, « l'enquête » est citée, elle portera sur « la généalogie des formes historiques du politique ». L'on songe aux livres de Ronald Creagh, de Louis Mercier-Vega, de Martin Breaugh, de Géraldine Muhlmann, par exemple ;
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une critique de la raison politique soit les « grands textes » qui la fondent : l'on songe à Kant, à Fichte, à Hegel. Les relations entre philosophie et politique sont mentionnées : pensons aux livres de Leo Strauss, de Michel-Pierre Edmond par exemple. Les points aveugles, soulignés par M. Abensour, sont notamment abordés par Giuseppe Pelli Bencivenni ou par Charlotte Beradt ;
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une reconstitution des critiques pratiques de la politique, fidèle à la résolution — ajoutée à la main — « ni Dieu ni maîtres ». Un exemple, celui du Monde à l'envers de Christopher Hill.
La liste des titres à paraître est un peu plus longue que précédemment et Lefort a été remplacé par Trent Schroyer (Critique de la domination).
Ajoutons que la conception de rupture de M. Abensour — le retour au politique — paraît inspirée par ses travaux antérieurs consacrés à l'utopie qui éclairent ses orientations éditoriales par des détours multiples lesquels incitent, en quelque sorte, au décollage. C'est que M. Abensour, éditeur, fait « du lecteur un aventurier prêt à quitter le sol ferme des évidences, de la tradition ».
Anne Kupiec