À l'ISMEA (Institut des sciences mathématiques et économiques appliquées) revient l'immense mérite d'avoir permis à la revue Études de marxologie, en opposition avec toutes les publications que le PCF et les intellectuels à son service tenaient entre leurs mains, d'avoir gardé l'œuvre de Marx en retrait du marxisme érigé « en idéologie de parti et d'État[1] ». C'est grâce à la mise en lumière de ce que Irving M. Zeitlin appelait « les fondements éthiques de la pensée sociale de Karl Marx » que la critique marxienne a pu se libérer de ce à quoi elle était tenue de servir si l'on s'en remet aux marxistes de la chaire et du Parti, à savoir la légitimation d'une accumulation primitive dont les valeurs étaient contraires aux siennes. On trouve cette caractérisation dans les Études de marxologie, et cette critique, toujours fondée sur une étude du système social en cause, a permis d'échapper aux distorsions de l'idéologie. Quel autre recours que Marx pour comprendre autant le stade dynamique de l'accumulation que sa chute. D'où le caractère de cette revue nullement surprise par l'évolution de l'URSS et son passage d'un capitalisme d'État fondé sur l'organisation de la terreur de masse à une « privatisation » mise en œuvre par les oligarques. Que les deux faces du marxisme aient pu être ainsi clairement analysées dans les Études de marxologie explique la raison pour laquelle tant d'auteurs se sont croisés et ont échangé leurs pensées. Ainsi en est-il de Miguel Abensour, de marxistes comme Paul Mattick et Anton Pannekoek, d'auteurs de l'École de Francfort et de la mouvance anarchiste comme celle de Gustav Landauer, qui apparaît en référence dans mon ouvrage de 1989 sur La Révolution surréaliste[2].
La triade de l'utopie communiste Maximilien Rubel, Miguel Abensour, Louis Janover met en amitié intellectuelle les trois grands courants de pensée qui s'élevaient contre les falsifications historiques que le marxisme-léninisme renouvelait à leur intention. De ce point de vue, la critique de cette triade utopique fait surgir ce que furent les positions révolutionnaires d'un milieu intellectuel qui reste aujourd'hui encore au cœur de toute opposition et nous ouvre la voie de la révolte.
Louis Janover
[1] Études de marxologie, Avant-Propos, n°9, août 1965.
[2] Louis Janover, La Révolution surréaliste, Paris, Plon, 1989. En exergue, une citation de Gustav Landauer : « Tout regard qui plonge dans le passé ou le présent des groupements humains est un acte qui porte sur l'avenir et construit cet avenir. » Voir Anatole Lucet, Communauté et révolution chez Gustav Landauer, Paris, Klincksieck, 2023.
