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L'affaire Denoël, règlement de comptes ou crime sordide ?

L'affaire Denoël, règlement de comptes ou crime sordide ?

L'assassinat en plein Paris de l'éditeur Robert Denoël, en décembre 1945, à la veille de sa comparution en justice et alors qu'il menaçait de révéler le comportement de ses confrères sous l'Occupation, demeure non élucidé à ce jour. Mise en cause par la veuve de la victime, la dernière compagne de Robert Denoël, Jeanne Loviton (1903-1996), avocate, éditrice et écrivaine sous le nom de Jean Voilier, veilla jusqu'à son décès à interdire toute allusion à son éventuelle responsabilité dans ce meurtre. Maîtresse de Paul Valéry dont elle conserva les archives, elle vendit ses poèmes érotiques par lots afin d'éviter une édition critique que l'éditeur Bernard de Fallois réalisa cependant en 2008. On lui prête bien d'autres conquêtes, masculines, comme Jean Giraudoux ou Saint-John Perse, mais aussi féminines, telle Yvonne Dornès. Elle était, selon le mot de François Mauriac, « le dernier personnage vraiment romanesque » du XX^e^ siècle, ce que sa présence aux côtés de Robert Denoël, dans la soirée du 2 décembre 1945, quelques minutes avant sa mort tragique, confirme amplement. Né en 1902 à Uccle, en Belgique, Robert Denoël s'était installé à Paris en 1928, avait ouvert la librairie « Aux Trois Magots » avenue de La Bourdonnais avant de fonder, deux ans plus tard la maison d'édition Denoël et Steele qui frappe un grand coup, en 1932, en publiant l'œuvre majeure de Céline, Voyage au bout de la nuit. Comme le savent tous ceux qui se sont intéressés à son parcours, la vie de ce personnage regorge de contradictions et de zones d'ombre. Non content d'éditer les romans de Céline, il publia ses pamphlets antisémites et Les décombres de Rebatet. Il vendit également, en pleine Occupation, et sans y avoir été contraint, une partie des actions de sa maison d'édition à un éditeur allemand. Cela ne l'empêcha pas de publier Elsa Triolet qui obtint le prix Goncourt 1944 avec Le premier accroc coûte deux cents francs, ou Tristan Tzara, mais cela ne lui évita pas les foudres de ses confrères ni celles du Comité national des écrivains à la Libération.

Son assassinat ou son meurtre a suscité de multiples hypothèses et, après avoir été rapidement classée en 1946, l'affaire fut relancée en 1950 comme le montre cet extrait du journal La Presse. L'épais dossier conservé aux archives de la préfecture de police de Paris éclaire en partie la disparition de l'éditeur sans trancher entre les différentes explications possibles de ce crime. S'il est vrai que Robert Denoël avait menacé de faire des révélations en cas de condamnation par les tribunaux, il avait également annoncé son intention de reprendre les actions confiées à sa maîtresse, ce qui conduisit sa veuve à désigner Jeanne Loviton comme la principale bénéficiaire de ce qui était, pour elle, un assassinat. C'est Jeanne Loviton qui récupéra officiellement, après le procès, les éditions Denoël, et encore elle qui les revendit à la Librairie Gallimard via une de ses filiales, Z-Publications, contribuant à rendre cet épisode de l'histoire de l'édition française encore plus opaque.

Jean-Yves Mollier