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Carnet de bord

Le fonds Francis Lacassin à l’Imec
un passeport pour le rêve et l’aventure

Le fonds Francis Lacassin à l’Imec, un passeport pour le rêve et l’aventure

C’est de sa propre initiative que Francis Lacassin a choisi de déposer ses archives à l’Imec. Ce choix n’est sûrement pas étranger à sa longue collaboration avec Christian Bourgois pour les éditions poche « 10/18 ». Le traitement du fonds débuté il y a plusieurs années a permis d’aboutir à un inventaire désormais consultable sur le portail de l’Imec. Ces archives sont complétées par une remarquable bibliothèque qui compte plusieurs belles pièces de bibliophiles. L’instrument de recherche témoigne par sa structuration des multiples champs d’activités dans lesquels Francis Lacassin s’engagea tout au long de sa carrière professionnelle protéiforme : il fut à la fois écrivain, journaliste, critique de cinéma, préfacier, éditeur, scénariste, réalisateur audiovisuel, animateur cinéphile, etc.

Le fonds abonde de projets réalisés, inachevés, abandonnés. Il dévoile une personnalité animée par le goût de l’insolite, de l’inexploré, de l’oublié, du mal aimé. L’abondante correspondance présente dans ses archives permet également d’entrer dans un réseau de sociabilité très germanopratin d’amateur de pépites littéraires et filmiques, mais aussi largement international.

Francis Lacassin est un homme aux multiples passions. Il n’est pas question de parler de sa vie intime, il est un homme discret, secret même, comme nous ont confié certaines personnes qui l’ont côtoyé. Il est en revanche bien plus volubile, avec son accent du sud-ouest dont il est originaire, sur ses domaines de prédilection : la littérature populaire et le cinéma des premiers temps en particulier. Il n’a eu de cesse de défendre toutes les œuvres qui l’ont fait vibrer… Et qu’importe si elles se trouvent dans des genres mal-aimés ou dévalorisés.

C’est ainsi que l’une de ses premières « croisades », pour reprendre ses propres mots, concerne la bande dessinée. Francis Lacassin, trentenaire, fraîchement débarqué à Paris, propose au début des années 1960, de former le premier « Club des Bandes dessinées » français. Son but : réunir tous les amateurs des bandes dessinées parues dans l’entre-deux-guerres. Ces publications ont quasi disparu du marché éditorial de l’après-guerre ou sont désormais publiées dans des versions largement caviardées. Ces changements s’expliquent par les mutations de l’édition et par la loi française de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse dont découle une commission qui exerce une surveillance et un contrôle stricts. Dans le fonds, se trouve les archives de cette association créée en 1962 et qui prendra plus tard le nom de « Centre d'études des littératures d'expression graphique » (CELEG). Francis Lacassin en devient le président et n’a de cesse, de tribune en tribune, d’interventions radios et télévisuels, de défendre la bande dessinée et de plébisciter la lecture adulte et savante de ce genre qui, au début des années 1960, est encore majoritairement relégué au domaine de l’enfance.

C’est par ce biais que je suis entrée en contact avec les archives de Francis Lacassin, le dépouillement des archives du fonds liés à la bande dessinée me permit de nourrir mes travaux sur l’émergence de la bédéphilie en France. Avec cette association réunissant au plus fort de sa gloire quelques milliers d’adhérents (des plus inconnus aux plus célèbres, tels le cinéaste Alain Resnais, l’académicien Marcel Brion ou le chercheur Edgar Morin ), Francis Lacassin publia la première revue française traitant de bande dessinée, Giff-Wiff dont le fonds livre de précieuses informations sur sa fabrication. Il parvint aussi à faire rééditer quelques bandes dessinées des années 1930. Rapidement, le mouvement bédéphile prend de l’ampleur et d’autres associations bédéphiles se développent, un premier festival international se met en place en Italie, à Bordighera et à Lucca, auquel a activement participé Francis Lacassin… une nouvelle génération de dessinateurs français de bande dessinée se fait connaitre au tournant des années 1970. Francis Lacassin voit là son ambition satisfaite et décide qu’il a « d’autres bastilles à conquérir ».

Comme une consécration à ce premier combat, lui est proposé de tenir la première chaire universitaire dédiée à la bande dessinée à la Sorbonne. Ce cours débute en 1971, année de parution de son livre-manifeste, La bande dessinée pour un 9e art, parait chez 10/18. Et c’est déjà là, un autre pan de sa vie qui s’ouvre, marqué par le début de sa collaboration avec Christian Bourgois pour l’édition en collection poche de grands auteurs de la littérature populaire, la littérature d’aventure, policière ou bien encore de science-fiction …. Sur ces activités éditoriales, le chercheur curieux trouvera, lui aussi, assurément son compte dans la collection d’ouvrages et dans le fonds d’archives désormais consultable à l’Imec.

Julie Demange, archiviste, docteure en histoire contemporaine, chercheuse associée au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / CNRS (UMR 8058),